La tribune hommage du Supplément Enragé suite au décès de Bertrand Tavernier, grand cinéaste français, survenu hier à l’âge de 79 ans.
par Live A. Jéjé
Il aura été l’un des réalisateurs les plus prolifiques durant quatre décennies. Bertrand Tavernier s’est éteint hier, à 79 ans, et laisse à notre patrimoine cinématographique une flopée de succès d’estime et critiques. Il était l’une de ces dernières références de metteurs en scènes ayant surplombé le cinéma français des années 70 à nos jours. Moins élitiste qu’un Godard, moins poète qu’un Resnais, moins bricoleur qu’un Mocky, moins provocateur qu’un Bertrand Blier, moins underground qu’une Varda, il ne souffrait pourtant pas de leur comparaison, dans son genre, comme le furent chacun dans leurs genres ses feus confrères Alain Corneau, Claude Miller, Maurice Pialat, Jacques Rivette, Claude Sautet, ou pour les rares survivants, toujours en activité ou non André Téchiné, Michel Deville, Jean Becker, Jean-Pierre Jeunet, ou encore Jean-Paul Rappeneau.
Tavernier, une passion du cinéma
Il est courant de dire quand un réalisateur passe l’arme à gauche, qu’il était un « passionné de cinéma ». Ici, l’expression serait trop faible. Comme Martin Scorsese outre-Atlantique, Tavernier était un cinéphile si acharné qu’il fut logique que son ultime long-métrage, Voyage à travers le cinéma français en rendit compte : le documentaire – unique fois où il s’essaya à cet exercice seul et non pas en coréalisation – qu’il commentait lui-même durant plus de 3 heures narrait l’histoire de décennies de films français dirigés par les premières légendes de la mise en scène (Henri Decoin, Max Ophüls, René Clément, Jean Delannoy, Claude Autant-Lara, Jacques Becker, Marcel Tourneur, Henri Verneuil, Robert Bresson et les incontournables René Clair, Jean Renoir, Marcel Carné, Jean-Pierre Melville et Julien Duvivier) et de la génération de la Nouvelle Vague (Truffaut, Rozier, Chabrol…). Ce projet, de sa conception à sa sortie, avait nécessité plusieurs années de préparation, le revisionnage de 950 films et 80 semaines de montage. Un film qui avait laissé place à une série documentaire de 8 épisodes de 52 minutes diffusée sur France 5 en 2018 (NDA : J’avoue l’ignorer encore totalement il y a quelques minutes, lorsque j’introduisais ma comparaison avec Scorsese, pour leur capacité notoire à enchaîner des projections de films les uns après les autres sans transition, mais ce « voyage » était lui-même adapté de celui de Martin Scorsese « à travers le cinéma américain », sorti en 1995).
Un cinéaste éclectique, aux castings cinq étoiles
Difficilement classable, ce touche à tout, enchaînant films historiques, comédies, polars, drames, films de guerre, films centrés sur les Etats-Unis et plus particulièrement sa musique (Autour de minuit, sorti en 1986 avait reçu des nominations aux Oscars et remporté une statuette), a tourné avec l’ensemble des acteurs français les plus populaires (Jean Rochefort, Gérard Lanvin, Isabelle Huppert, Jacques Gamblin, Sabine Azéma, Philippe Torreton, Michel Galabru, Thierry Lhermitte, Jane Birkin, Didier Bezace, Jean-Pierre Marielle) et son comédien fétiche Philippe Noiret (à qui il permit de remporter son 2e césar du meilleur acteur en 1990 pour La Vie et rien d’autre).
Un metteur en scène reconnu par ses pairs
Cinq fois choisi par le Festival de Cannes dans sa Sélection Officielle, la plus haute compétition du rendez-vous annuel du cinéma mondial (le record pour un réalisateur français est détenu par André Téchiné), il y remporta le Prix de la mise en scène en 1984 pour l’une de ses œuvres les plus célèbres, Un dimanche à la campagne. Sur les 25 nominations qu’il reçut aux Césars à titre personnel (l’ensemble de ses films ayant été nommé dans l’ensemble des catégories de l’académie plus de 100 fois), il a remporté 2 en tant que metteur en scène, en 1976 pour Que la fête commence ; considéré comme son chef d’œuvre, notamment pour avoir été l’un des 2 films ayant réunis le trio d’amis inséparables, les « 3 seigneurs » Noiret, Rochefort et Marielle ; et en 1997 pour Capitaine Conan, et 3 autres pour ses talents de scénaristes. Ajoutées au Prix Louis Delluc du meilleur film français en 1974 pour son premier long-métrage, L’Horloger de St-Paul (début de sa collaboration avec Noiret), de 2 récompenses au Festival de Berlin, du BAFTA (équivalent des Oscars au Royaume-Uni) du meilleur réalisateur et d’un Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière à la Mostra de Venise, il demeurera l’un des cinéastes français les plus récompensés, bien qu’il lui manqua toujours un Oscar pour réussir le grand chelem (obtenir au moins un Oscar, un BAFTA, un César en plus d’un prix au sein des 3 plus grands festivals du cinéma international que sont Cannes, Berlin et Venise).
Si l’au-delà existe, il est fort probable que, ayant rejoint les idoles qui l’ont amené à glisser progressivement de la critique de films vers la réalisation et la pléiade d’acteurs qu’il a dirigé et à qui il avait dû dire au revoir, au paradis du cinéma, le mot d’ordre veuille « que la fête recommence » !
Sources
- Photo de couverture: Allociné
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