La Tribune – Covid-19: Crise de l’amour et ses dérives

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Crédit : Unsplash @Daniel Tafjord

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La Tribune du Supplément Enragé du 15 février 2021 consacrée à la « crise de l’amour » entraînée par l’épidémie de Covid-19. 

par Stanislas Montamat

La Covid-19 n’a pas épargné l’amour, menant certains couples à la souffrance et à l’accablement. Pendant les différentes périodes de confinement et de couvre-feu, ces derniers ont connu des fortunes diverses, dues aux nombreuses heures passées ensemble, ou bien à l’inverse, aux moments dont ils n’ont pas pu jouir, séparés par les mesures gouvernementales. En outre, les célibataires eux aussi ont dû s’adapter à ces nouvelles conditions. Ainsi, aux vues des changements provoqués par la crise sanitaire, on constate d’une part, selon un sondage mené par l’IFOP pour le site de consultations en ligne d’un sexologue, qu’après ces événements 1 couple sur 10 va prendre ses distances. D’autre part, selon un médecin du Centre hospitalier universitaire vaudois, qu’une baisse du nombre de naissances est attendue. Bien que certains couples survivent à cette pandémie, une véritable « crise de l’amour », aux rouages multiples, sévit. 

Dans les rouages de l’amour

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Evolution du nombre de naissances depuis janvier 1946

Malgré l’isolement à deux, et un pic de naissance attendu 9 mois après le premier confinement, les statistiques démontrent au contraire une baisse continue du nombre de naissances. De plus, un médecin chef au CHUV nommé David Baud constate une baisse de 10% du nombre de grossesses en se référant aux contrôles de débuts de grossesses. Alors que cette période paraissait au commun des mortels favorable aux rapports sexuels, c’est étonnamment l’inverse qui s’est produit. D’où la question suivante, légitime : à cause du confinement, le désir et l’amour ont-ils pu s’estomper voire se briser dans certains cas ?

Selon Platon, un des pères de la philosophie, l’amour est désir et le désir est manque. La rencontre d’une personne attrayante, quelle qu’en soit la cause, va créer en nous le désir, de ce que nous n’avons pas. Seulement, lorsque l’être désiré est présent 24 heures sur 24, l’amour suffoque : il n’y a plus de manque, plus de désir voire plus d’amour heureux. Tandis que dans des circonstances « normales » et sans contraintes, le manque et le désir s’entretiennent grâce aux heures passées sans se voir, aux possibles tentations extérieures et à l’incertitude qui borde notre amour. Ainsi en supprimant le manque de nos vies de couple, la relation ne pourrait qu’osciller entre souffrance et ennui, et nous conduire à ne plus aimer. De ce fait, la cohabitation en confinement peut s’avérer insupportable et amener divers affrontements. Ce sombre tableau les conduit au pessimisme, sans espoir de retour. 

Heureusement, les faits, s’ils sont préoccupants, n’en sont pas moins minoritaires. En dépit de ce qui a été dit, aimer ne s’explique pas qu’en termes de manque et désir. D’après Spinoza, le désir n’est pas manque mais puissance, la puissance de jouir de la présence de l’autre, où l’amour est joie, liée à une cause extérieure. Celle-ci peut être la personne désirée, mais il s’agit de dépasser le coup de foudre et s’efforcer de connaître l’autre afin de trouver satisfaction dans sa simple présence. Ainsi, la connaissance de l’être aimé affermira l’amour qu’on lui porte. Les périodes d’isolement peuvent ainsi permettre à un couple de mieux se connaître et de consolider les liens qui les unissent. Si le confinement a exacerbé les difficultés à « vivre l’amour », une minorité a préféré s’adonner au pessimisme de Platon, la majorité préférant l’optimisme de Spinoza. Il ne faut donc pas, par peur de souffrance, muer son amour en ennui.

Les dérives de l’amour moderne

Dans le tournant d’une époque où les rencontres sont la plupart du temps irréalisables, l’amour perdure tout de même, mais de quelle manière et à quel prix ? En effet, un sentiment comme l’amour se crée autour d’une rencontre. Mais dans un contexte où l’étendue de nos relations sociales est largement réduite, les rencontres existent toujours, même si elles n’ont plus la même nature. Les rencontres se font sur des réseaux sociaux comme Instagram ou encore sur des applications de rencontre comme Tinder, pour ne pas toutes les citer. 

Cela étant, le site de Tinder indique que, pendant le confinement, les connexions ont augmenté de 23% en France, et que les temps de connexion sur l’application ont eux aussi augmenté de 23%. L’amour devient ici un marché commercial à lui seul, mené par des campagnes marketing diverses qui en gâchent tout l’esprit. Pouvons-nous même considérer cela comme une rencontre ? Sans découverte de l’autre ni surprise après avoir consulté son profil, à bas l’excitation due au hasard de l’amour.

En ayant recours à ce genre d’application, on se place ainsi en tant que produit, et en « swipant » de gauche à droite sans vraiment trop de nuances, nous choisissons le produit qui nous conviendrait le mieux. Quelqu’un qui nous ressemble et aime les mêmes choses que nous, sort aux mêmes endroits et ayant le même genre de fréquentation. En somme un amour « parfait » presque sans crainte. Alain Badiou en vient même à dire que l’on nous vend « un amour sans souffrance comme on nous raconterait une guerre sans mort ». Il n’y a pas à accepter la singularité de l’être aimé, y compris ce que l’on n’aime pas chez lui.

Sources
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