Une nouvelle critique de notre rédacteur Laurent Mondélice sur Depuis, Médiapart, un documentaire sur le célèbre journal et son directeur Edwy Plenel.
« Une presse indépendante est une presse qui est capable de fâcher ses lecteurs, qui assume d’en perdre si elle les mécontente. C’est ça Médiapart. (…) Nous ne demandons pas à nos lecteurs de nous juger sur nos partis pris, mais sur l’utilité de l’information ».
Médiapart: Présentation idéalisée d’une « éthique » journalistique
Réalisé par Naruna Kaplan de Macedo, cinéaste à qui l’on doit Depuis Tel-Aviv (2009) et La Casa (2005), Depuis Mediapart est un documentaire qui suit la (jeune) rédaction du journal en ligne pendant 9 mois naviguant entre les sujets chauds : l’élection présidentielle de 2017, l’affaire Baupin, les Football Leaks, les financements libyens…
À la racine de ce film, Naruna Kaplan de Macedo souhaitait mettre en avant une plateforme où puiser de la pensée « dans un moment de grande confusion politique ». Dans les (peu nombreuses) interviews réalisées pour la promotion du film, l’objectif présenté était de « mettre en partage » :
- Un modèle de média qu’elle admire
- Une éthique dont devrait s’inspirer les autres journaux.
Le terme « Depuis » (Mediapart) se comprend dans sa polysémie : la cinéaste pose le postulat que depuis Mediapart, il y aurait eu, d’une part, un shift dans la manière dont les français lisent un journal, et d’autre part, une réorganisation des journaux gravitants autour de ce journal.
De plus, fascinée par cette rédaction en tant que collectif, elle a filmé au plus près les journalistes car sa vision de cette communauté est dithyrambique. En effet, elle voulait donner à voir la « beauté du travail collectif, une beauté d’être ensemble ». Mentionnons également qu’elle a son blog sur le site et que le documentaire y est désormais en accès libre.
Par ailleurs, ce projet, comme beaucoup de films indépendants, est la conclusion d’un chemin sinueux pour obtenir des financements. Il a nécessité un an et demi de tournage se matérialisant en 300 heures, et a requis les volontés singulières de personnes croyant à l’intérêt du sujet.
Bon.
Sur le papier, toutes les cases semblaient cochées pour que j’apprécie ce film : Indépendant. Check. Journal qui correspond à ma ligne idéologique. Check. Un point de vue singulier sur un objet journalistique ancré dans le paysage français. Check. 4,50 euros le ticket. Check.
Quels bénéfices peut-on tirer d’une démarche personnelle sur un objet avec une telle portée ?
Paradoxalement, je me suis retrouvé devant un rendu déconcertant, idéologiquement (trop) chargé, sans grand intérêt car concentré sur la personnalité des journalistes et couvrant beaucoup moins – ce qui est le plus intéressant – leur travail d’investigation. Bref, un film qui entre dans la notion journalistique désormais populaire – et des plus détestées chez les français : l’entre soi idéologique. Plusieurs éléments sont gênants.
Dans les descriptions officielles du synopsis, Il est indiqué que le film nous donne à voir « les coulisses d’un journalisme d’investigation ». Oui, mais dans quel but ? Qu’est-ce qui en ressort ? La réponse est : pas grand-chose. Et un pas grand-chose peu attrayant, alors que le travail de Médiapart, on l’imagine, semble bien plus important que ce qui a été diffusé durant cette heure et demie.
Premièrement, le travail d’investigation est présenté de façon très succincte. Et quand on le voit, il est pollué par la mise en avant d’individus et de leurs opinions en tant qu’individus plutôt qu’en tant que journalistes. Ainsi, des reporters reconnus pour leur travail, à l’image d’Ellen Salvi, Matthieu Magnaudeix ou Lenaïg Bradoux – que je vous encourage vivement à suivre sur Twitter – sont perçus comme de jeunes urbains que l’on caserait dans la représentation (certes erronée mais bien ancrée) que l’on a des « bobos » parisiens : ça clope durant tout le film (on a l’impression qu’un lobby du tabac l’a sponsorisé), ça vanne allègrement sur la droite (et sur tous ce qui n’est pas comme eux, en général) et ils semblent liés par un socle idéologique unifié.
Attention, il est très probable qu’à la rédaction de Valeurs Actuelles ou de Libération on retrouve le même type de dynamique. Cependant, pourquoi privilégier majoritairement des moments de vie commune, certes intéressants, mais très pauvres au niveau scénaristique, et ne livrer que de maigres segments consacrés aux techniques d’investigation, aux contraintes, aux enjeux, aux profondeurs de la rédaction, surtout quand on filme à… Mediapart ?
Ce film-documentaire pousse à s’interroger sur le caractère objectif du travail journalistique réalisé à Médiapart (même si on n’en doute pas) et dans les autres rédactions et. Il fait par-là écho au documentaire Les Gens du Monde réalisé par Yves Jeuland en 2014, où le réalisateur s’intéressait aux réactions du personnel composant la rédaction dans le contexte de l’élection présidentielle de 2012.
La politisation est abordée et présentée par la réalisatrice comme si elle allait de soi, comme s’il s’agissait d’un fait logique et intrinsèque aux différentes rédactions. L’effet secondaire est que les journalistes qui la composent peuvent apparaitre suffisants, snobs et surtout, partiaux. Cela peut-être un peu irritant, dans un contexte actuel de remise en cause de la presse, où les critiques dirigées vers cette dernière sont plus poussées, concrètes et plus directes. Étant entendu que Médiapart ne cesse d’affirmer son indépendance et son objectivité dans la prosécution des faits.
Un rendez-vous manqué
Alors pourquoi nous livrer ce projet s’il n’a pas d’intérêt scénaristique et qui ressemble à la chronique d’un entre-soi ? Il faut revenir aux objectifs initiaux de De Macedo. À mon sens, il s’agit d’une documentariste qui a souhaité, comme je l’ai évoqué plus tôt, montrer un milieu qu’elle chérit. Et quand on aime, on idéalise. Cependant, avec un peu d’honnêteté, on se demande qu’elles auraient été les réactions de l’audience si on avait réalisé ce documentaire à la rédaction du Figaro ou de Valeurs Actuelles…
Sans doute la singularité de Médiapart peut s’observer ici. Comme le dit Edwy Plenel à propos du but de son journal :
nos lecteurs peuvent y exprimer leur opinion, ils peuvent nous discuter, nous critiquer, nous prolonger, nous contester, c’est ça qui fait l’écosystème vertueux d’un journal comme Médiapart.
Le documentaire est à regarder si vous êtes curieux des personnes composant la rédaction du journal, il l’est moins si vous attendez des informations sur les méthodes et les contraintes d’un journal iconique et atypique dans le paysage médiatique français. Too bad. `
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