PoV – Les Volets verts: quand la vie s’éteint, lui donner un sens

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Depardieu sublime face à lui-même

Critique du film « Les Volets Verts« , adaptation de G. Simenon pour la caméra de J. Becker, avec un G. Depardieu dans la peau d’un acteur face à sa mort imminente.

par Live A. Jéjé

Jules Mangin (G. Depardieu), célèbre comédien, a fait du milieu artistique du Paris des trente glorieuses son royaume, enchaînant les rôles, multipliant les conquêtes, écumant les restaurants cossus, s’hydratant de vodka, épanchant sa mélancolie dans les lettres qu’il couche sur le papier à l’adresse de la sublime partenaire de jeu (F. Ardant) qu’il a tant aimé et qui, sur le point de se remarier, ne prend plus la peine de les ouvrir. Le couperet finit un jour par tomber : bien qu’il en ait 10 de moins, il a le cœur d’un homme de 75 ans. Jean Becker à la mise en scène, feu Jean-Loup Dabadie au scénario, adaptation d’un roman de Simenon, complété d’un casting de renom (Poelvoorde, Grinberg, Stéfi Celma, Fred Testot…), Les Volets Verts avaient tout pour plaire.

Il plait, dès ses premières secondes, par l’intelligence de l’introduction du thème central du film, le temps qui reste à son protagoniste. D’emblée, le spectateur saisit, à l’essoufflement hors-champ précédant l’apparition à l’écran de Maugin dans le cabinet de son médecin, que ce dernier va bientôt mourir. Des décennies de carrière l’ayant consacré au rang de monstre sacré, et l’exposition prolongée aux plaisirs immodérés qu’offre le monde du spectacle à celui qui y réussit, ont eu raison de sa santé. Maugin comprend qu’il n’y a rien à faire, que son cœur a trop souffert du rythme effréné des représentations, des plateaux et de ses illusions perdues qui ne le pourvoit plus que d’un courage de se lever chaque matin, purement mécanique. Il s’attarde alors sur la souffleuse de la pièce qu’il joue, Alice, mère célibataire, et sur les conseils de Félix, son ami de toujours, il quitte cette capitale où son spleen s’est tant enraciné pour le refuge de sa résidence côtière à Antibes.

les volets verts alice baba
Maugin (Depardieu) prend pour héritière la jeune Alice (Stéfi Celma) et sa fille Baba.

Il plaît, si tant est que celui qui achète son ticket ne soit pas terrifié par la certitude de mourir un jour, pour les résonnances universelles de la notion de fin de vie et la manière de réagir face à l’annonce que le temps est désormais compté, sans pouvoir l’évaluer. Comment l’être humain, une fois digérée la nouvelle, est confronté à son passé, le contraste de ses échecs et de ses succès, se voit interrogé sur son présent, ses valeurs, les remet en question et sonde enfin la perspective d’un lendemain entre chien et loup, face auquel il lui revient de décider quel sens il lui donnera. Le cas échéant, prendre en charge Alice, et sa fille, auprès de qui se construit une relation filiale, Maugin devenant d’une oreille attentive un substitut de père, au sein d’un processus basé sur le choix d’offrir à la jeune femme, bien qu’il tombe sous son charme, uniquement ce qu’il peut encore lui apporter de mieux à ce stade final de son existence, non pas l’amour, mais la sagesse et la protection d’un mentor. Une résolution là aussi abordée par Becker avec subtilité par l’inclusion d’une scène où il Maugin s’assure que sa protégée écoute, en son absence, « Il suffirait de presque rien » de Reggiani, ne serait-ce que pour lui assurer qu’il n’a comme intention désintéressée que de lui offrir une vie meilleure pendant que la sienne décline.

Il plait moins lorsque, à ces deux astucieuses séquences brillamment réalisées, la mise en scène typique du cinéma de Becker, volontairement désuète, « à l’ancienne », se perd, à force de rechercher la propreté, dans un immobilisme que vient renforcer un scénario qui traine quelques longueurs. Des défauts qui empêchent l’œuvre de prétendre à rester, pour ce qu’elle est, dans les mémoires, mais facilement pardonnables devant la prestation magistrale de Gérard Depardieu.

Car il plait surtout, et c’était là toute sa promesse, par l’hommage rendu au taulier du cinéma français en lui offrant ce rôle si similaire à ce que la légende s’étant forgée autour de lui dépeint : un artiste excessivement gourmet, clopeur, buveur, oscillant avec constance entre une profonde tristesse semblant couvrir d’un voile gris son regard noisette, et sa formidable capacité à l’éructation, la jouissance de chaque seconde que sa vie lui semble avoir allouée. L’interprétation de Depardieu est un miroir (craquelé, cela va sans dire…) de son personnage qui finit par piéger, tel qu’il fallait s’y attendre, le public, qui se surprend à plusieurs reprises à ne plus discerner la frontière entre la fiction et la réalité, oubliant qu’il y a bien un comédien qui joue un comédien et qu’il n’est pas là un zoom autobiographique sur l’heure-ci de la carrière de Depardieu, qui confirme dans ce film être l’héritier du Gabin des années 60 & 70, après avoir endossé il y a quelques mois le costume de Maigret que le second avait porté pour une poignée de films. Ce sentiment de confusion est volontairement renforcé par le recours à des artifices propres au parcours de celui qui fête cette année ses 50 ans de carrière au cinéma : sa reprise de la cantate de son amie Barbara ou sa déclamation fantasque du menu de son restaurant fétiche, référence à la tirade de Cyrano.

Il plait enfin parce qu’il n’est, pour tordre la langue de critiques y ayant vu cet horizon, guère un film crépusculaire, mais bien au contraire, salvateur, ensoleillé de la vue méditerranéenne sur lequel il se conclut. Point d’ultime adieu à la « Un homme et son chien », qui voulait consacrer le retour de Belmondo pour un dernier rôle et avait finalement choqué, de le voir dans un état où le crépuscule infestait chaque plan, chaque ride de son visage. Depardieu, qui n’a de cesse de continuer à tourner, n’a pas cherché à dire au revoir à ses fans, mais seulement leur livrer, au cas où, un simple testament.

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