Astérix & Obélix: L’Empire du Milieu : on change tout et on refait la même chose…
Points de Vue a eu la chance de voir en avant-première la comédie la plus attendue de ce début d’année, Astérix & Obélix : L’Empire du Milieu.
par Live A. Jéjé

C’est la comédie français la plus attendue, et au tournant, depuis maintenant plusieurs années. 11 ans qu’un nouvel opus en prises de vue réelles des aventures d’Astérix n’était pas sorti dans les salles obscures. 11 ans que des acteurs en chair et en os n’avaient revêtis les armures romaines des troupes de César et les casques gaulois. Et si ce nouvel opus cristallise déjà bien des critiques, de par le budget stratosphérique engagé pour le tourner et la pléthore d’acteurs figurant au casting rappelant le bide d’Astérix aux Jeux Olympiques (2008), et une phase promotionnelle pleine de maladresse de la part des acteurs principaux: Guillaume Canet, réalisateur et interprète du gaulois préféré des français prenant en otage les spectateurs en leur expliquant que s’ils ne se rendent pas dans les salles, plus aucune grosse production française ne verra le jour, comparant ses ambitions avec son Astérix à celui de créer une franchise à la Marvel. Marion Cotillard révélant que ses enfants ne la trouvent pas convaincantes dans son rôle ou Jonathan Cohen se plaignant du dur métier de comédien qui doit parfois s’ennuyer en attendant que ce soit à son tour de passer devant la caméra…), c’est que la franchise Astérix au cinéma a un passif plus que compliqué dès lors qu’elle dépasse le stade du film d’animation pour des adaptations à « échelle humaine » et que ce que propose Canet a le mérite de prétendre faire rire, mais ne fait, à de rares exceptions déjà soulignées dans les bandes annonces, seulement sourire.
Le syndrôme post-Chabat ou l’horizon indépassable de Mission Cléopâtre ?
Astérix & Obélix contre César: un premier essai bien français

Pour le comprendre, il faut remonter à 1999. Malgré de précédentes tentatives avortées (notamment un projet qui aurait mis en scène Louis de Funès dans le rôle principal à qui on aurait adjoint Lino Ventura dans celui d’Obélix), Claude Berri, en tant que producteur, et Claude Zidi, à la mise en scène, proposent Astérix & Obélix contre César, histoire inspirée de divers albums de la bande-dessinée, au casting international (avec pour antagoniste Roberto Benigni, qui gagnera la même année l’Oscar du meilleur acteur à Los Angeles) pour une comédie bien franchouillarde, réunissant des figures incontournables du cinéma comique français (Michel Galabru, Daniel Prévost, Claude Piéplu, Sim, Jean-Pierre Castaldi et bien évidemment, dans les rôles-titres Christian Clavier & Gérard Depardieu), parfois maladroite, mais sans prétention.
Astérix & Obélix: Mission Cléopâtre : régal comique, visuel et technique
Fort de ce premier essai transformé, Berri se tourne vers Alain Chabat, fan absolu de la bande-dessinée, pour signer une véritable adaptation d’un des albums. Celui-ci, qui n’a alors qu’une réalisation au compteur, écarte d’emblée Astérix & Cléopâtre, l’un des albums, si ce n’est le plus populaire de la série, et adapté en dessin animé avec beaucoup de succès, qui nécessiterait des fonds et un travail pharaonique, c’est le cas de le dire. Berri le convainc de changer d’avis et débloque le plus grand budget du cinéma français d’alors pour donner la possibilité à son metteur en scène de livrer au public un film à la hauteur des exigences en terme de costumes, de décors et d’action de son scénario. Immense succès, aussi bien critique que populaire, cumulant 14 millions d’entrées (prenant à l’époque la 2e place des plus gros succès au box-office hexagonal pour un film français).

Parce qu’au-delà d’une direction d’acteurs superbe (Clavier, qui avait attiré certaines critiques dans le premier volet par l’attitude « Jacquouille » qu’il donnait au personnage d’Astérix, incarne ici avec l’humour et la sobriété nécessaire à dépeindre le caractère à la fois teigneux et malin du personnage, Claude Rich campe un Panoramix correspondant en tous points à celui des albums, et la place donnée à la rivalité entre Numérobis (Jamel Debbouze) & Amonbofis (Gérard Darmon) fonctionne à merveille), a relevé un triple défi : ne pas trahir l’histoire qu’il avait la charge d’adapter, jongler avec les références qui avaient fait le succès de l’adaptation en dessin animé sans la copier pour autant et y apporter son propre univers comique, tantôt absurde, tantôt corrosif. Vingt ans plus tard, le film n’a pas pris une ride, la réalisation et la technique restent sublimes et le casting quatre étoiles (Depardieu, Clavier, Debbouze, Belucci, Chabat, Darmon, Baer, Rich, Nanty, Lauby, les Robin des bois) ne perd jamais en alchimie, régalant nos esprits d’une œuvre fluide où les gags s’enchainent.
Astérix aux Jeux Olympiques : L’arrogance poussée au ridicule

Les deux films qui ont suivi Mission Cléopâtre sont significatifs de ce syndrome post-Chabat, puisqu’ils sont aux antipodes l’un de l’autre. Astérix aux Jeux Olympiques voulait s’inscrire dans la lignée de son prédécesseur, mais a poussé le curseur à l’excès de tout ce qui se pouvait se retourner contre lui : en misant sur un budget plus colossal encore, et une distribution toujours plus démesurée en embauchant une pléiade de célébrités, humoristes ou acteurs bankables de l’époque (Dubosc, Astier, Sémoun, Poelvoorde, Cornillac, Rousseau, Garcia…) et guest-stars n’ayant pour la plupart aucun intérêt particulier à figurer au générique (Francis Lalanne, Amélie Mauresmo, Tony Parker, Zinédine Zidane et Debbouze lui-même accaparant l’écran durant les quinze dernières minutes pour appuyer l’argument de vente « dans le sillage de Chabat), le spectateur s’emmerde devant une succession de sketchs et parodies potaches au possible, dans lesquels il ne se distingue aucun fil directeur, aucune âme, ce qui est une grave erreur quand on aspire à adapter une œuvre telle qu’Astérix, où le metteur en scène doit l’accompagner de son propre univers et de ses propres références. Seul mérite de ces deux heures de purge : revoir Alain Delon sortir de sa retraite pour camper, mieux que personne, la mégalomanie de César, en osant enfin se moquer de lui-même et de son ego supposément aussi surdimensionné.

Astérix & Obélix: Au Service de sa Majesté : l’injustement méprisé

Ereinté par la critique, tout fut vite entrepris pour fermer au plus vite cette parenthèse olympienne pour mettre en branle Astérix & Obélix : Au Service de sa Majesté, adaptation d’Astérix chez les Bretons et Astérix chez les Normands, qui au contraire, tentait, avec comme mot d’ordre l’humilité, de faire primer sur l’argent investi (et la volonté qu’il soit vu qu’il ait été investi dans des scènes spectaculaires dépourvues d’humour) un scénario cohérent et une satire de la perception des anglo-saxons par les français, et inversement, tels que l’avaient pensé Goscinny & Uderzo en écrivant l’album, tout en remettant les personnages d’Astérix & Obélix au centre de la caméra. Un film plus intimiste, qui se payait le luxe de rallier des pointures du cinéma (Deneuve, Luchini, Galienne, Lacoste, Jugnot, Lemercier, Dany Boon…), qui reçut des avis bien plus élogieux de la part des cinéphiles, qui saluèrent le retour aux fondamentaux qui firent le succès de la BD et à l’incorporation de l’univers de Laurent Tirard, son réalisateur, mais fut un relatif échec public, n’ayant pas suscité d’engouement populaire particulier, mais a su au fil du temps trouver un public fidèle, notamment lors de ses diffusions télévisuelles, qui reconnurent qu’il avait devant les yeux une comédie familiale sympathique et bien traitée, qui se laisse regarder non sans plaisir.
Astérix & Obélix: L’Empire du Milieu: du reboot à la copie
Une profonde réflexion fut engagée par Anne Goscinny, la fille du cocréateur du gaulois le plus célèbre au monde, entrainant la suspension de tout nouveau projet d’adaptation, motivée par le souhait que le prochain film devrait donner le la à un nouveau cycle, notamment en ce qui concernait le casting (bien que seul Gérard Depardieu eût tenu le rôle d’Obélix dans les 4 films jusqu’alors réalisés.

Ce reboot, finalement confié aux mains de Guillaume Canet, qui a fait ses armes derrière la caméra avec des succès publics comme critiques, aussi bien dramatiques que populaires, s’accompagna d’une annonce particulière : cette fois, le 5e film ne serait nullement une adaptation d’un album déjà paru, mais le fruit d’un scénario tout à fait inédit, et se déroulerait principalement en Chine. Une décision guère dénuée d’intelligence : pour donner un second souffle à la saga cinématographique, l’idée de repartir sur une histoire sur mesure pourrait permettre si le succès est au rendez-vous de repartir sur de nouvelles adaptations dans un futur proche (tel que Canet le souhaiterait) et éradiquerait l’éternelle comparaison avec l’Astérix de Chabat.
Un scénario pompé sur Mission Cléopâtre
Hélas, il n’en est pas grand-chose. Car Guillaume Canet, si on ne peut lui reprocher d’avoir voulu, à travers les anachronismes inhérents à Astérix, de traiter de sujets de société contemporains non sans humour, de revenir à certains fondamentaux (le village gaulois est le plus mis en avant possible pour une œuvre dont l’immense majorité de l’action ne s’y déroule pas), de faire des références à la pop-culture moderne (à titre d’exemple, le fameux signe de « JUL César » mimé par Vincent Cassel et tant décrié est au contraire un petit clin d’œil prêtant à sourire et qui ne mérite pas de s’y attarder avec tant de véhémence que certains le font depuis son inclusion dans la bande-annonce du film), ne semble pouvoir s’empêcher de retomber dans certains pièges.
Le principal concerne le scénario. Cette « histoire inédite » vendue à corps et à cris n’est qu’une transposition, quasi point par point de Mission Cléopâtre. Dans ce dernier, la reine d’Egypte confie à Numérobis la tâche de construire à Alexandrie en trois mois le plus magnifique des palais, sous peine de mort. L’architecte, désespéré, se tourne vers le village gaulois, voyant dans la potion magique fabriqué par Panoramix le seul espoir d’accélérer les travaux en l’administrant à ses ouvriers pour décupler leurs forces, tandis que de son côté, le méchant local, Amonbofis, architecte officiel de Cléopâtre, jaloux d’avoir été mis sur la touche, s’alliait avec César pour empêcher la construction du palais dans les temps.

Dans l’Empire du Milieu, un marchant égyptien aussi extravagant que l’était le Numérobis personnifié par Jamel Debbouze, Graindemaïs (Jonathan Cohen), s’étant retrouvé bien malgré lui au cœur d’un putsch visant l’impératrice de Chine par le méchant local Deng Tsin Qin vient, avec la princesse Fu Yi et sa garde du corps Tat Han demander l’aide des gaulois (et leur fameuse potion) afin de libérer l’impératrice et l’aider à garder le contrôle de l’Empire tandis que Deng Tsin Qin tente à la fois de retrouver la princesse pour la marier (référence à Astérix aux Jeux Olympiques où Brutus harcèle la princesse Irina) et de conquérir l’ensemble de la Chine en passant une alliance secrète avec…Jules César.
Une aventure inédite prenant donc vite des goûts de réchauffé. Mais à ce stade, qu’importe : l’espoir de sortir ravi de la projection persiste devant l’autre argument de poids scandé, le renouveau total du casting, qui compte des talents comiques émérites, et un duo d’acteurs principaux lui aussi renouvelé, Canet ne brillant pas dans le rôle d’Astérix, mais sans démériter, et Gilles Lellouche, véritable surprise, parvenant à s’acquitter avec aisance de la tâche pourtant très difficile de succéder à Depardieu. Mais très vite apparaît le second écueil : ce casting truffé de pépites mais à rallonge, comme s’il avait fallu caser tous les acteurs et humoristes en vogue du moment (Jérôme Commandeur, Ramzy Bédia, Manu Payet, Chicandier, Philippe Katerine, Pierre Richard, Audrey Lamy, Ragnar le breton, Franck Gastambide, Issa Doumbia, José Garcia) et d’autres personnalités (Zlatan Ibrahimovic dans une scène cool mais dispensable, Angèle, Orelsan, Big Flo & Oli, McFly & Carlito…), leur empêchent d’avoir un temps de présence à l’écran suffisant pour exprimer leur potentiel.
Pourquoi engager, sinon parce qu’elle est la femme de Guillaume Canet, Marion Cotillard, vendre son rôle de Cléopâtre comme un des principaux, apparaissant sur l’affiche du film, pour qu’elle n’apparaisse que deux 3 scènes, dont un flashback de 10 secondes parodiant Star Wars et une en post-générique, alors même qu’à plusieurs occurrences, comme lorsque les gaulois font une escale par l’Egypte ou lorsqu’il est mentionné que la « reine des reines » jouit d’une forte popularité en Chine, le spectateur s’attend à ce qu’elle intervienne afin de contrecarrer les plans d’un César qui durant deux heures se lamente de leur récente séparation ? Pourquoi donner à Laure Felpin, révélation télévisuelle de 2022 dans « Le Flambeau » sur Canal + à peine une minute de temps d’antenne pour une dénonciation ratée de la condition féminine des romaines, qui n’apporte strictement rien à l’histoire ? Pourquoi accorder à une légende vivante de la comédie comme Pierre Richard un rôle à sa mesure comme celui de Panoramix si c’est pour le voir au tout début et à la toute fin de la projection, quand il aurait pu accompagner comme dans nombre d’autres aventures Astérix & Obélix et préparer assez de potion magique pour permettre au peuple chinois fidèle à l’Impératrice de résister aux romains ?
A cette dernière question, le spectateur finit obtenir une réponse, et celle-ci soulève une autre faiblesse du scénario. En réalité, toute l’intrigue chinoise n’est qu’un prétexte à ce que le duo de copains gaulois parte en quête d’une nouvelle pérégrination, car il apparaît très vite que personne n’a besoin d’eux. Les capacités de Tat Han au combat, et sans potion, ou la conclusion de la bataille finale, sans la dévoiler, l’illustre clairement.
Au final, le film se laisse regarder, plus comme un film d’aventure qu’une comédie, malgré le sentiment d’avoir devant les yeux un remake d’une qualité inférieure au film de Chabat, et une esthétique qui laissera les plus sensibles à la technique à désirer. Point positif à ne pas négliger, et qui comble les lacunes de l’intrigue, une relative osmose entre le quintet de personnages principaux (Astérix, Obélix, Graindemaîs, Fu Yi & Tat Han) qui se cherchent, se disputent, s’apprivoisent et se rapprochent, pour créer une rivalité peu approfondie mais sympathique entre Astérix & Graindemaîs pour le cœur de Fu Yi et une idylle mignonne et de prime abord inattendue entre Obélix & Tat Han.
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