Points de Vue rend hommage à Gaspard Ulliel, immense acteur français mort aujourd’hui à l’âge de 37 ans, en pleine gloire.
Un hommage de Live A. Jéjé
La plus grande élégance d’un regard, le plus charismatique puisse-t-il être, est d’atténuer sa magnificence propre pour sublimer l’œil lui-même quand son iris est plus bel encore.
C’est cet iris, céruléen à souhait, orné d’une curieuse insaisissabilité, d’une profondeur déconcertante, qu’aucun objectif ne captera plus jamais. Qui s’est fermé ce jour et ne dégagera jamais plus cet étrange magnétisme que les grandes marques – à l’image de Chanel qui avait usé de ses yeux azurés pour son parfum « Bleu » – s’arrachaient, il n’hésitait d’ailleurs guère à assurer que son salaire de mannequin lui permettait d’être suffisamment à l’abri du besoin pour refuser d’accumuler les rôles, et choisir ses apparitions à l’écran avec soin.
En vacances à la neige avec sa femme et leur fils de 5 ans, Gaspard Ulliel, skiant sur une piste bleue (le destin…) a vu sa carrière comme sa vie littéralement fauchée, à la suite d’une collision avec un autre touriste. Victime d’un trauma crânien sévère, transporté à l’hôpital en urgence, il est décédé ce mercredi. Heureusement pour l’autre victime de l’accident, celle-ci n’aurait rien subi de vital.

A 37 ans, Ulliel avait réussi à s’imposer dans le paysage cinématographique français depuis ses tous débuts, d’abord dans un rôle mineur dans Le Miracle des loups de Christophe Gans puis sous la caméra de Michel Blanc dans le film choral Embrassez qui vous voudrez (qui lui vaudra une première nomination au César du meilleur espoir masculin), comme un talent prometteur d’abord, puis, après des prestations remarquables dans Les Egarés d’André Téchiné (2003) qui le fait citer une seconde fois en meilleur espoir, et Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet (2004) pour lequel il obtint le précieux sésame.

Après avoir enchaîné films d’auteur et films populaires durant dix ans – ainsi que quelques projets internationaux, en campant notamment la jeunesse d’Hannibal Lecter – sans grands rôles significatifs, à l’exception de l’acclamé Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier en 2010, c’est en incarnant Yves Saint-Laurent pour Bertrand Bonnello sorti en 2014 (la même année que le Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert, dans lequel Pierre Niney incarne le rôle du couturier) qu’il fait son retour sur le devant de la scène. Nommé au César du meilleur acteur, que Niney décrochera, Xavier Dolan, le jeune génie québécois fait appel à lui pour le rôle-titre de l’adaptation de la pièce de théâtre Juste la fin du monde.

Cette œuvre, exceptionnelle à plus d’un titre, de son casting (Nathalie Baye, Vincent Cassel, Marion Cotillard, Léa Seydoux) à sa réalisation sublime, traitant de l’incapacité de communiquer au sein d’une famille dysfonctionnelle, dont chaque membre s’est construit à travers le succès artistique du personnage d’Ulliel et en a tiré des complexes, au retour de ce dernier, venu leur annoncer sa mort prochaine et prématurée, annonce qu’il ne pourra jamais faire. Un rôle pour lequel il ne pouvait échapper au César du meilleur acteur.
Désormais acteur de premier plan, il prend quelques distances avec le 7e art après avoir campé trois autres rôles principaux, dans Eva de Benoit Jacquot (2018) auprès d’Isabelle Huppert, Les Confins du monde de Guillaume Nicloux (2019) avec Gérard Depardieu et le film historique, Un peuple et son roi, secondé d’une distribution exceptionnelle (Louis Garrel, Laurent Laffite, Adèle Haënel, Céline Sallette, Niels Schneider, Denis Lavant, Noémie Lvovksky, Izia Higelin mais encore Serge Merlin, Patrick Préjean ou Olivier Gourmet).

Alors qu’on le retrouvera, de façon désormais posthume, dans Plus que jamais d’Emily Atef, plus que jamais, le cinéma français perd un de ses interprètes de génie, ayant réussi à devenir une des rares légendes parmi la nouvelle génération, et ce, avant 40 ans. Et plus que jamais, puisque selon les versions de l’incident meurtrier dont il a été victime, il en fait état de son absence, il convient de rappeler à chacun que porter un casque lorsqu’on skie peut sauver une vie.
Que Gaspard Ulliel repose dans un ciel aussi azuré que ses yeux.
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