Critique de la réadaptation de l’oeuvre phare de Spike Lee sur Netflix, mettant en scène le personnage culte de Nola Darling.
Nola Darling: l’histoire d’un personnage précurseur
Il était une fois, Spike Lee. Le réalisateur, légendaire pour son tempérament provocateur et contestataire, oscille, dans ses productions, entre innovation et activisme politique depuis 1983. Son deuxième film, She’s Gotta Have it, qu’il a écrit et réalisé, s’inscrit dans cette lignée. Il créée une mini révolution avec ce long métrage en mettant au premier plan le personnage d’une jeune artiste afro-américaine, Nola Darling, en plein Brooklyn – cœur d’émulation culturel et intellectuel, en première phase de gentrification – indépendante des mœurs monogames et sexuellement libre, au cœur d’un rectangle amoureux, 3 hommes et une femme, chacun étant conscients de l’existence des autres amants. Ce style de vie est à la fois assumé et revendiqué comme un testament de son indépendance : Toutes ces relations apportent quelque chose de différent à sa vie, à son travail d’artiste. L’enjeu principal pour Nola ? « Se réaliser » et assurer sa « complétude ». C’est l’idée, très américaine, du « Finding the true self », objectif magnifié de notre 21ème siècle.
À sa sortie, ce film a contribué à la construction du « mythe Spike Lee », c’est-à-dire un réalisateur précurseur, effronté, indépendant, revendiquant sa patte et n’ayant pas peur de briser les codes dans sa propre communauté. En contrepartie, les critiques soulevées ont surtout visé la composition de l’équipe scénaristique presque majoritairement masculine pour raconter… La vie sexuelle d’une femme.
Réadapté sur la plateforme Netflix en série de 10 épisodes de 30 minutes chacun s’étalant jusqu’ici sur 2 saisons, l’intrigue principale a été conservée mais aménagée pour englober les enjeux contemporains : La beauté de l’aspect « communautaire » de Brooklyn y est célébrée et présentée comme mise à mal par le processus de gentrification rampant ; des thématiques politiques sont insérées dans des épisodes spécifiques (L’élection de Donald Trump, la situation à Porto Rico). Par ailleurs, on pénètre plus minutieusement dans la psyché des amant.e.s de Nola : Les trajectoires s’imbriquent et sont en général plus travaillées.
Si l’on reste sur un registre positif, cette série a le mérite de mettre à l’ordre du jour des sujets intéressants –Et qui reste marginaux dans le paysage audiovisuel– le « Polyamour » et la « pansexualité ». Ces attirances sexuelles, reconnues dans notre génération, sont abordées de manière d’autant plus piquante, tant les concernés ne sont pas tous du même sexe. Le côté female empowerment, bien qu’éprouvé à la télévision,reste agréable à observer.
Par ailleurs, le réalisateur, connu pour ne rater aucune occasion d’exprimer son affection pour Brooklyn, sa communauté de cœur et de naissance, a fait de cette série un témoignage de son amour pour une ville qu’il qualifie de « République dans la République ». Avec une cinématographie percutante mettant en exergue la beauté des corps, des fameux bâtiments en briques rouges tagués et les maisons mitoyennes colorées, il célèbre – en la fantasmant – son Brooklyn. Le Brooklyn chanté par Biggie, vécu par Maxwell et honoré par Barbra Streisand. Par-là, il prouve sa capacité à magnifier un lieu en usant de multiples références type Madeleine de Proust, et ça fait plaisir à voir.
Enfin, dans une tentative similaire, le scénariste a mis en avant l’héritage spirituel d’un Brooklyn Intello, quitte parfois à en faire trop. Chaque début et fin d‘épisodes sont ponctués de citations d’artistes et de poètes issus de la diaspora africaine prolifiques durant la période de la Harlem Renaissance (Zora Neale Hurston, Carrie Mae Weems). Ainsi, à chaque fin de scène, la pochette de la chanson qui accompagne les interactions entre les personnages en background est affichée à l’écran. Mais rien de nouveau sous le soleil, c’est un parti-pris chez Lee : Montrer visuellement et sans subtilité superflue ce qu’il considère comme étant des talents de chez lui.
Une adaptation qui ne fait pas l’unanimité
Néanmoins, les critiques les plus pertinentes restent en majorité mitigées.
Cette adaptation souffre en effet de profondes lacunes qui tendent à s’accroitre au fil des saisons. Elle a le désavantage de présenter des caricatures 1. de l’artiste sans un rond mais toujours Hype qui se cherche dans un environnement en pleine effervescence culturelle 2. De ce qu’il faut faire pour atteindre un état de plénitude pour pouvoir s’épanouir dans un domaine (Ici, l’art) 3. De l’exploration de son identité sexuelle.
Procédons par étape.
L’éléphant dans la pièce reste les dialogues. Ces derniers sont pauvres qualitativement, redondants et parfois loufoques. Et c’est malheureusement un classique de la plateforme Netflix : les dialogues restent toujours en reste. Durant la deuxième saison, à l’exception du personnage iconique de Mars Blackkkmon, on a l’impression que les scénaristes ont fait fi de la qualité des interactions pour coller à la cohérence de l’histoire… Qui au final semble elle-même négligée.
Plus dommageable, plusieurs polémiques ont visé les conceptions de la communauté noire circulant dans cette série. Par exemple, dans un dialogue avec un artiste afro-britannique, Nola indique que les acteurs noirs anglais auraient « le syndrome de Stockholm » à savoir qu’ils seraient tombés amoureux de leurs oppresseurs… pas comme les acteurs afro-américains. Présenté dans une scène où le personnage principal apparait particulièrement arrogant, cette discussion aurait pu être intéressante mais a été amenée de façon trop brutale et a agacé les spectateurs. Et il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres. On a l’impression que les scénaristes ont tellement souhaité donner à Nola une image de femme forte, qu’en contrecoup, elle en ressort égocentrique, égoïste et, surtout, chiante.
Loin d’être une version à 360 degrés du film, cette série apparait comme une adaptation fainéante qui tentent de se greffer sur une période qui ne lui correspond pas. Au-delà du fait de mettre en tête d’affiche une femme « indépendante » – selon nos critères occidentaux- et de s’émouvoir des références culturelles (trop) abondantes, les efforts scénaristiques sont limités. Découvrir l‘univers de Lee c’est accepter d’entrer dans un cinéma dont on ne maitrise pas nécessairement les codes et de se laisser bercer. On se laisse ici facilement bercer par l’amour de Lee pour Brooklyn… Un amour qu’on constate déjà depuis 30 ans. On en attendait plus.
Laurent Mondélice
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