Points de Vue revient sur la disparition de Michel Bouquet, légende du théâtre et du cinéma de la seconde moitié du XXe siècle, décédé à l’orée de ses 96 ans.
par Live A. Jéjé
Michel Bouquet : quand le Roi se meurt…
Il est de ces personnages mystifiés, canonisés de leurs vivants ; tant leurs carrières, leurs états de service, les chiffres qui les concernent sont impressionnants ; et qui se rappellent, à l’annonce de leurs trépas, au souvenir ému de ceux qui y portèrent de l’intérêt, toujours surpris de réaliser qu’un homme ou une femme, qu’importe son domaine d’activité – fut il politique, artistique, militaire, militant – ait pu devenir une légende, se loger dans l’inconscient collectif d’une entité à laquelle il est attaché, pré-mortem. Michel Bouquet était de ces personnalités dont le nom renvoyait directement au patrimoine culturel français, pour sa contribution exceptionnelle au rayonnement de son théâtre, son cinéma (que les français méprisent tant et qui est dressé au firmament de ce qui s’est toujours fait de meilleur à l’étranger), grâce au talent dont il fit preuve sur les planches, devant la caméra, mais également pour le temps qu’il a donné à former d’innombrables autres comédiens, des décennies durant.
Des petits boulots au conservatoire
Rien ne le destinait pourtant à embrasser la carrière magistrale qui fut la sienne. Elevé en partie en pension, il se heurte au harcèlement scolaire des internats, sujet tabou pour l’époque. Entré dans l’adolescence en même temps que dans la guerre, il accumule divers emplois, souvent physiques, afin d’aider financièrement sa mère. C’est pourtant toujours sous l’Occupation qu’il rejoint les cours de Maurice Escande, sociétaire de la Comédie Française, puis le Conservatoire d’art dramatique parisien, avec, pour comparse Gérard Philipe, dont le grand avenir sera compromis par un décès précoce, à la fin des années 50, décennie qui avait fait de lui une véritable star au cinéma. Il devient l’ami de Jean Villar, avec qui il collaborera au TNP et au Festival d’Avignon, et Jean Anouilh, dont il jouera, dès ses débuts, le rôle principal de Roméo et Jeannette.

Le seigneur de la scène française
Une particularité que l’on retrouvera plus d’une fois au cours de ses sept décennies de jeu : Bouquet sera le compagnon de création et/ou l’interprète original (des premières mises en scène) de pièces d’auteurs aussi illustres qu’Anouilh (L’invitation au château, L’Alouette), Albert Camus (Les Justes, Caligula) ou plus tard Bertrand Blier dans Les Côtelettes (dont il tiendra aussi le premier rôle dans l’adaptation cinématographique de la pièce, toujours signée Blier, en 2004). Il alternera auteurs classiques, dont Molière, Alfred de Vigny, Diderot, Shakespeare, et modernes, comme Harold Pinter, Samuel Beckett ou encore Eugène Ionesco, dont il jouera plus de 800 fois le rôle-titre du « Roi se meurt », devenant au fil des années le comédien majeur du théâtre français.
Bouquet au cinéma
Si Bouquet, à l’instar de ses prédécesseurs parmi la génération d’avant et d’après-guerre Jouvet, Guitry ou encore Pierre Brasseur, n’a jamais caché sa préférence pour les planches, il ne partageait néanmoins guère la réserve qui saisissait les trois autres à se rendre au sein des studios, et que feu Claude Brasseur, fils de Pierre, expliquait par le fait qu’à l’époque, ces monstres sacrés du théâtre considéraient avant tout le septième art comme une sécurité alimentaire, tels que les acteurs l’ont appliqué par la suite à la publicité. D’abord cantonné à des rôles mineurs, c’est son apparition au générique des Amitiés Particulières de Jean Delannoy (1964) qui lui vaudra l’emballement des spectateurs des salles obscures. Sous la houlette de François Truffaut, à la fin des années 1960, il interprète des seconds rôles notables dans La mariée était en noir, aux côtés de Jeanne Moreau et Jean-Claude Brialy, puis dans La Sirène du Mississippi, auprès de Belmondo et Deneuve.
Mais c’est un autre réalisateur de la Nouvelle Vague, en la personne de Claude Chabrol, qu’il gagne en importance, incarnant avec brio l’archétype du bourgeois inquiétant et autres notables de province antipathiques.

La reconnaissance de ses pairs

Prolifique, le temps de la reconnaissance de ses pairs sera tardif, mais exponentiel. Auréolé de 2 Molière du meilleur comédien, complété d’un Molière d’Honneur en 2014, il se voit décerné pour ses 2 premières nominations aux Césars en 2002 et 2006, à 76 puis 80 ans, 2 Césars du meilleur acteur, pour Comment j’ai tué mon père d’Anne Fontaine, et son interprétation d’un François Mitterrand dans ses derniers tourments face à la maladie chez Robert Guédiguian dans Le Promeneur du Champ-de-Mars, avant d’être nommé une ultime fois en 2014 pour un autre biopic, où il incarne le peinte Auguste Renoir au crépuscule de ses jours.
S’il est coutume, et le théâtre ne s’en jamais privé, d’annoncer « Le roi est mort, vive le Roi ! », la perte de cet immense comédien laissera un vide qu’il sera difficile à combler tant les metteurs en scène et les spectateurs auront du mal à lui trouver de successeur à sa hauteur.
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