Enquête sur le fructueux business des passeports dorés
à Malte. Devant les élections européennes, que doit-on penser d’une
Union Européenne qui vend sa citoyenneté ?
par Afifa Saltani
C’est un business discret mais qui rapporte beaucoup d’argent. La vente à grande échelle d’une nouvelle nationalité à de riches investisseurs, devient une pratique inquiétante et les autorités européennes tentent de trouver une parade. Immersion dans le monde des golden visa européens.
Un appartement contre un passeport européen
L’époque où l’obtention de la citoyenneté était fondée sur le droit du sang ou le droit du sol est révolue ! Aujourd’hui elle se monnaie c’est le cas de trois pays de l’Union Européenne (Chypre, Malte, Bulgarie, Portugal, Grèce, Hongrie) qui ont mis en place ce qu’on appelle des “programmes de citoyenneté par investissement”. Ces programmes ont été instaurés entre autre en 2013 à Malte. En échange d’une certaine somme d’argent la citoyenneté est offerte .
La somme que vous devrez débourser pour obtenir le fameux passeport européen est de 800 000 € (bien sûr on vous fait un prix groupé si vous voulez rajouter les enfants, la tante, le beau-frère). L’archipel maltais demande donc aux candidats de verser une contribution de 650 000 € dans un fonds d’investissement national, d’effectuer un investissement de 150 000 € et de posséder ou de louer un bien immobilier à Malte. Il n’est pas demandé aux candidats de fournir une preuve de leur présence physique régulière et prolongée sur le territoire de l’État membre concerné. Les candidats souscrivent des abonnements à des salles de sport, des abonnements téléphoniques pour simuler un semblant de preuves au gouvernement. Il est donc possible d’acquérir la nationalité maltaise sans avoir jamais résidé à Malte.
Une fois le saint-graal obtenu, les candidats bénéficient de nombreux droits : circuler librement dans l’espace Schengen donc voyager sans visa dans 163 pays, voter et se porter candidat aux élections locales et européennes, bénéficier de la protection consulaire en cas de non-représentation en dehors de l’Union Européenne, accéder au marché intérieur pour y exercer des activités économiques, tirer profit de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne qui protège certains droits politiques, sociaux et économiques des citoyens et résidents de l’Union Européenne.
Malte, le Panama européen
Cette nouvelle forme de naturalisation a été instaurée en premier lieu pour attirer des capitaux dans les pays concernés. Avec une économie en berne les Îles de Malte tentent de remonter. Seulement, de nombreux doutes planent autour de cette nouvelle pratique. Malte est suspecté de corruption, de blanchiment d’argent et d’être un paradis fiscal.
La journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia assassinée dans un attentat à la voiture piégée en octobre 2017 avait tenté de lever le voile sur certaines pratiques frauduleuses. Elle dénonce un manque de transparence sur l’identité des nouveaux citoyens. Selon elle, les riches investisseurs candidats à la citoyenneté achèteraient un bien immobilier qui restera vide. Pendant ce temps-là de nombreux citoyens éprouvent des difficultés à se loger, ce sont les “”habitants”” qui payent le prix de ce fructueux business.
Pendant ce temps-là, les personnes issues de la classe moyenne qui ne peuvent contracter un prêt pour acheter leur propre maison et qui se trouve dans l’obligation de louer – comme cette infirmière divorcée et qui subvient seule aux besoins de ses trois enfants , interviewée il y a quelques jours par un journal – sont expulsés par la force par leur propriétaire qui préfère louer à un prix aberrant et plus élevé, pour des candidats à la citoyenneté qui ne mettront jamais les pieds dans ce bien.

Cela ne s’arrête pas là puisque pour attirer de grandes fortunes l’archipel maltaise, n’hésite pas à employer des techniques de vente digne de grandes entreprises ; salons, publicités dans les magazines, spot vidéos dans les avions. Ici un magazine fait la promotion de la citoyenneté européenne avec cette phrase :
“secure your family’s future with European citizenship”, littéralement : assurer l’avenir de votre famille avec la citoyenneté européenne.

Un comportement digne d’un pays “désespéré” selon Daphne Caruana Galizia.
Celui qu’on appelle le Panama européen car il abritait plus de 70 000 entreprise en les faisant profiter d’une “optimisation fiscale” est en train de devenir un nouveau paradis fiscal connu de tous. Les pays membres de l’Union Européenne semblent avoir des oeillères face à ce nouveau “business” et reste impuissante puisque l’octroi de la nationalité relève strictement de la responsabilité des États membres . Selon le rapport de la commission au parlement européen cette pratique serait “très individualisées et utilisées de manière limitée”, aucun chiffre ne permet de remettre en cause cette information. Le 29 janvier 2014, Malte aurait pris l’engagement d’accentuer les contrôles, aucun passeport ne sera délivré
sans la preuve d’une résidence pendant 12 mois.
Enfin, les riches investisseurs candidats à la citoyenneté européenne tenteraient en réalité d’échapper aux sanctions internationales, “à des enquêtes répressives ou à des poursuites dans leur propre pays et pour protéger leurs actifs des décisions de gel et de confiscation y afférentes”. Selon une enquête de Béatrice Mathieu, on comptait pas moins de 5000 passeports délivrés au Portugal, mais impossible de connaître les chiffres pour d’autres pays. Quand à leur identité, on apprend que ce sont des oligarques russes qui tentent d’échapper au président Poutine avant de mal finir. Ou encore après la politique anticorruption en Chine, beaucoup de milliardaires fuient le pays au risque de se voir emprisonnés.
More Stories
PoV | Le recap de la semaine – Retraites: le challenge de la honte
PoV: Cinéma – Astérix & Obélix: L’Empire du Milieu (critique)
PoV – Politique: Incident raciste à l’Assemblée ?