Leur combat : nos droits – Jean-Baptiste Belley: d’esclave à député de la Nation

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Le Supplément Enragé, dans sa série de portraits des personnalités historiques « Leurs combats, nos droits », se penche sur le cas de Jean-Baptiste Belley.

par Tom Chartier

Il est de ces figures méconnues de notre République. Un esclave qui a traversé toutes les plus grandes périodes de l’Histoire pour devenir l’un des premiers représentants du peuple souverain. Par son passé et ses combats, Jean-Baptiste Belley fait partie des personnages importants ayant participé à la construction du monde tel que nous le connaissons, et qu’il est nécessaire de ne pas laisser dans l’oubli.

Belley: une vie à acheter sa liberté, et celle des autres

Belley naît entre 1746 et 1747, selon ses propres dires, sur l’île de Gorée, au large du Sénégal. Vers ses 2 ans, il est fait esclave puis déporté sur l’île d’Haïti, à cette époque connue comme la colonie de Saint Domingue. Toutefois, cette date et ce lieu restent très incertains, ce qui n’est pas étonnant pour l’époque au regard de sa condition. Son acte de décès indiquera qu’il est né en 1755, à Léogane, dans la partie Nord de Saint Domingue. Il y travaille comme perruquier sous le surnom de Timbazé, et ce, jusqu’à acheter sa liberté sur ses propres deniers. Il va s’engager par la suite dans l’armée, qui lui donnera probablement une éducation, et notamment dans le corps supplétif des « Nègres Libres du Cap » aux cotés de 800 autres afro-descendants de Saint Domingue.

Ils feront leurs armes lors de la guerre d’indépendance américaine en 1777, aux côtés des américains insurgés. Il se fait remarquer aux côtés de son corps d’armes lors du siège de Savannah en 1779, à l’appui de certains pères fondateurs des États-Unis comme le général Lincoln. Cette bataille voit participer beaucoup de soldats français, et notamment le futur Roi de la monarchie constitutionnelle d’Haïti. Même si le siège de Savannah fut une victoire cruciale pour les anglais en Géorgie, les États-Unis deviendront indépendants de l’Empire Britannique des suites de cette guerre en 1783 (NB: Les Etats-Unis avaient proclamé leur indépendance sept ans auparavant, en 1776, mais il faudra attendre le traité de Paris de 1783, à ne pas confondre avec celui de 1763 ayant mis à la guerre de 7 ans, pour que l’Europe reconnaisse ce statut). Belley obtiendra le grade d’officier à la suite de ses faits d’armes en Amérique, ainsi que le surnom de Mars, Dieu de la Guerre, qu’il gardera le reste de sa vie.

Il est alors capitaine d’infanterie à Saint Domingue quand la Révolution de 1789 éclate en France, qu’il va suivre d’aussi près que possible. Son engagement dans la guerre d’indépendance américaine le pousse à s’intéresser à la politique, et encore davantage lorsque la première assemblée législative décidera de l’élection de représentants pour les colonies en 1792, sans distinction de couleur. Il va finalement repousser l’attaque de colons blancs sur son île, malgré 6 blessures, ce qui finira d’achever sa légende localement et de le propulser à l’Assemblée.

L’anti-esclavagiste au cœur des tensions de la Révolution

Il est effectivement nommé à la convention nationale en 1793, à l’unanimité des voix, aux côtés de J.B Mills et L.P Dufray. Il repasse par les États-Unis en traversant l’Océan Atlantique, alors sillonnée par les navires anglais ennemis, et se fait prendre à partie à Philadelphie par des colons blancs n’ayant pas accepté l’élection d’un ancien esclave noir à un des postes les plus importants de la République nouvellement créée. Il leur rappellera alors fièrement son engagement héroïque dans l’indépendance américaine, et les toisera par un : « Quand on sait sauver les Blancs et les défendre, on peut bien les commander ».

Il sera arrêté à son arrivée en France, à Lorient, puis emprisonné avec ses collègues députés pour des suspicions de sympathie Girondine. Leur proximité avec Léger-Félicité Sonthonax, un Girondin convaincu, leur a valu, à tous, ce séjour dans les prisons bretonnes. Les Girondins sont à l’époque un des plus grands groupes politique de la révolution. Ils se retrouvent opposés aux Montagnards, pour qui Belley siégera, sur la question du sort du Roi déchu, Louis XVI. Quelques années avant cette arrestation, les Girondins avaient tenté une insurrection contre le gouvernement révolutionnaire, et leur échec avait entraîné leur traque et leur exécution. Jean Baptiste Belley sera remis en liberté peu après son emprisonnement par une lettre expresse de la Convention (nom donné à l’Assemblée alors en place) avant d’y être introduit en tant que premier député de couleur noire de la République en février 1794.

de Belley à Mars, le député

Il sera très actif au cours de sa députation, notamment aux côté de son collège L.P Dufray, en faveur de l’abolition de l’esclavage dans les colonies du royaume de France. Il dénoncera vivement l’hypocrisie des grands propriétaires blancs qui avaient alors livré une partie de Saint Domingue aux colons anglo-espagnols alors que « les noirs devenus libres et français ont fait rempart de leurs corps à l’invasion » lors d’un discours remarqué et ovationné par Danton, figure tutélaire et controversée du mouvement révolutionnaire. Ainsi il fera voter l’abolition de l’esclavage, qui sera pour la première fois prononcée en France à cette occasion, avant d’être rétabli par l’empereur Naporélon Bonaparte, et définitivement abolit en 1848 suite à une nouvelle révolution.

Il salue alors ce renouveau de la politique qui signe la fin d’un Ancien Régime absolutiste :

« Je n’ai qu’un mot à vous dire : c’est le pavillon tricolore qui nous a appelé à la liberté. C’est sous ses auspices que nous avons recouvré cette liberté, notre patriotisme est le trésor de notre prospérité et tant qu’il restera dans nos veines une goutte de sang, je vous jure, au nom de mes frères, que ce pavillon flottera toujours sur nos rivages et dans nos montagnes. »

Il continuera à siéger aux différentes assemblées au cours de la Révolution, et finira sa carrière politique au Conseil de Cinq-Cents, dernière assemblée avant le coup d’État Napoléonien suivant la fin de la Terreur de Robespierre. Il se retire finalement en 1797, après 5 ans à défendre ses positions républicaines jacobines entre les différentes tensions politiques tiraillant ce premier essai de démocratie en France.

La fin d’une vie, poursuivi pour ses idées républicaines

Il sera promu chef de Bataillon par son collègue J.P Dufray en 1795, ce qui va le pousser à retourner sur l’île de Saint Domingue, avant de devenir en 1797 chef de brigade au commandement de la Gendarmerie de la colonie. Cette position dans la sécurité de la République va l’amener à résister aux assauts du Général Leclerc en 1802, lui-même sous les ordres de Napoléon Bonaparte ayant réussi son coup d’État en novembre 1799. Malheureusement, il perd son poste et sera suspendu de ses fonctions lors de la réorganisation de la gendarmerie par le nouveau pouvoir impérial. Il sera finalement envoyé à Belle-Ile-en-mer, au large de la Bretagne, en résidence surveillée à partir de juillet sans formellement être mis aux arrêts.

Il finira ses jours à l’hôpital militaire de Belle-Ile, âgé d’une cinquantaine d’année. Il ne léguera qu’une somme dérisoire à son beau-frère, puisqu’il ne possédait rien hormis ses revenus venant du traitement de réforme de la Gendarmerie.

 

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L’unique hommage rendu à Jean-Baptiste Belley, une place de la ville de Pantin

Jean Baptiste Belley fait partie de ces héros, tous droits sortis des romans d’aventures, ayant vécu des périodes de l’Histoire du monde, tant tourmentées que capitales, mais qui, faute de postérité, ont progressivement sombré dans l’oubli. L’histoire de cet esclave devenu représentant du peuple nous rappelle, à travers les siècles et leurs mésaventures, que la chance sourit toujours aux audacieux.

Sources
  • Photo de couverture: portrait réalisé par Girodet Trioson en 1798
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