Insecure: Doux éloge de la communauté

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Critique, par Laurent Mondélice

Insecure – littéralement, en insécurité – est l’adaptation télévisée de la web série à succès The misadventures of an awkward Black girl produite par Issa Rae, qui est en la créatrice, productrice exécutive, actrice principale et showrunner (rien que cela).

Insecure nous invite à suivre la vie d’une jeune trentenaire noire, Issa Dee, employée dans une association à but non lucratif et déterminée à évoluer, à se trouver et à prospérer à tous les niveaux dans le south side Los Angeles (le « Black L.A ») à l’âge où on s’interroge sur notre cheminement (Et toutes les autres questions qui dépriment), dans un univers coloré de culture afro-américaine.

La série se veut le miroir des luttes, des incertitudes et des absurdités de sa position de femme noire issue de la classe moyenne dans l’espace social américain.

Avec un casting à prédominance noire, l’objectif d’Issa Rae, éminemment politique, s’inscrit dans une démarche commune à d’autres artistes issus des « minorités » et actuellement en pleine ascension aux États-Unis (Donald Glover, Jordan Peele): dépeindre des vies qui n’ont jamais – ou jamais correctement – été décrites auparavant.  Cette démarche est similaire à celles d’Andrew Heigh et Lena Dunham dans leurs séries respectives Looking (2011-2013), suivant les vies croisées de 3 homosexuels de 30 à 40 ans à San Francisco (qui n’a malheureusement duré que 3 saisons, faute d’audience) et Girls (2012-2017).

Contenue dans un format relativement court (8 épisodes de 30 minutes par saison), elle ne bat pas de record d’audience mais détonne dans le paysage audiovisuel. Elle a su fidéliser une base solide de fans en ne déviant pas de la feuille de route originellement fixée.

A contrario d’autres séries comiques se centrant sur la vie et l’évolution d’un personnage, certes drôles et distrayantes, mais au fil du temps produisant des intrigues éculées, Insecure agrippe, avec un ton décalé, absurde, baroque et résolument attachant.

Raconter sans pesanteur

Le succès de cette série réside dans le savoureux mélange entre un comique absurde et un univers hip-hop, jeune et communautaire.

Les mimiques, l’embarras et les situations gênantes d’Issa – comme le fait de travailler dans une organisation caritative avec un personnel majoritairement blanc qui fournit de l’aide à des jeunes des quartiers… majoritairement noirs– sont devenu sa signature.

Au-delà de la comédie, le réalisme des échanges est déconcertant (à l’exception qu’une nana qui bosse dans une association à but non lucrative puisse conduire une Mercedes, on blâmera le placement de produit)tant les interactions semblent exemptes de scénarisations préalables.

Les « cheer-up rap » et pep talks improvisés par Issa pour se donner confiance quand elle sort en soirée pour pécho (ou quand elle se réveille le matin après une soirée en constatant QUI elle a pécho) ; son fameux rap « Broken Pussy » et le concept de « Hoetation » (Hoe+Rotating, en français, période après une longue relation où l’objectif est d’enchaîner les plans culs) sont de belles illustrations.

De plus, des enjeux qui peuvent a priori être considérés comme lourds ou difficiles à exploiter sont dédramatisés, traités avec humour et intelligemment distillés, démontrant ainsi que les tirades grandiloquentes ne sont pas un passage obligé pour faire passer des messages.  

La sexualité féminine et les représentations qui s’y attachent sont omniprésentes. Au-delà des scènes de sexe très crues, des questions comme la protection, les fantasmes autour de la fellation et leurs conséquences – « Comment dois-je me sentir si mon partenaire jouit sans me prévenir au bout d’une fellation ? » – ou encore l’inégalité des rapports entre hommes et femmes dans l’intimité sont traitées avec honnêteté.

Par au rapport aux questions raciales, ni noirs, ni blancs ne sont épargnés. La communauté noire est invitée à se remettre en question :  sa tendance à « laisser passer » des discours racistes touchant d’autres communautés parce que « les noirs ne peuvent pas être racistes, on a déjà assez subi », l’impossibilité pour un homme noir d’explorer sa sexualité au-delà du stéréotype du real man don’t do this  ou encore l’obsession de la communauté pour des séries télévisés  (la série Scandal est copieusement moquée) offrant une pauvre et défectueuse représentation des afro-américains sont autant de défauts mis à l’index.

TOUS les personnages existent et ont l’opportunité d’évoluer

Et c’est suffisamment rare pour être souligné. Issa est au centre des intrigues, certes. Mais les autres personnages ont aussi droit à une évolution narrative digne de ce nom, quel que soit leur temps d’apparition à l’antenne.

Le personnage de Molly, meilleure amie d’Issa, loin de servir de support à ses intrigues, a ses propres complexes et sa propre psychologie. Elle est radicalement différente du personnage principal. Elle coche toutes les cases de la réussite sociale (avocate, riche) mais ses succès professionnels sont équivalents à ses échecs dans sa vie personnelle. Leurs discussions vont du plus superficiel – s’envoyer en l’air – au plus sérieux, l’épanouissement personnel. Au final, leur relation ne correspond pas au schéma classique des deux meilleures amies extravagantes en compétition pour le même mec, mais à l’amitié sincère de deux femmes avec des schèmes de représentation différents.

Par au rapport aux questions raciales, ni noirs, ni blancs ne sont épargnés. La communauté noire est invitée à se remettre en question :  sa tendance à « laisser passer » des discours racistes touchant d’autres communautés parce que « les noirs ne peuvent pas être racistes, on a déjà assez subi », l’impossibilité pour un homme noir d’explorer sa sexualité au-delà du stéréotype du real man don’t do this  ou encore l’obsession de la communauté pour des séries télévisés  (la série Scandal est copieusement moquée) offrant une pauvre et défectueuse représentation des afro-américains sont autant de défauts mis à l’index.

Un point de vue radicalement assumé

La série revendique un univers qu’elle chérit, cultive et étoffe à chaque saison. Les choix artistiques et scénaristiques vont dans ce sens.

Les scénaristes (on peut citer Ben Cory Jones ou Amy Aniobi) sont jeunes, noirs, blancs, queers pour certains, majoritairement féminins et issus de tous les milieux sociaux. Bref, ils représentent une génération pour laquelle la représentativité est l’essence de tout travail (Ils écrivent pour d’autres séries du même genre comme Boomerang, à venir très prochainement).

Cette influence est ressentie dans le parler, l’esthétique, les tenues portées, et plus globalement, dans l’emphase mise sur la notion de « communauté » comme repère spatial et social.

Ainsi, le south side LAet ces commerces de proximité, en proie au processus de gentrification sont mis à l’honneur, et l’affection pour ce quartier se ressent dans la tendresse avec laquelle il est filmé. Les tenues des personnages proviennent en majorité de stylistes afro-américains et de friperies de quartier ; La bande son, l’élément permettant à une série de définir son atmosphère, est composée d’artistes avant-gardistes de la scène hip hop et RnB. On peut citer des rappeuses comme Leikeli47 et Kari Faux, les chanteurs Leven Kali, Jazmine Sullivan, St. Beauty, Amir Obe, Childish Major, Omar Apollo ou encore les City Girls.

Insecure: Une série qui divise ?

Le bémol est qu’un point de vue aussi tranché pourrait diviser. Dire d’emblée que cette série est faite pour les femmes noires a suscité des controverses sporadiques, mais néanmoins persistantes, dénonçant un discours « identitaire ». À cela, Issa Rae répond que les personnes de couleurs sont non seulement drastiquement sous représentées, et quand elles le sont – en tous cas dans les séries comiques- leur potentiel humoristique est réduit au seul fait qu’elles soient … noires. Sont visées ici les blagues du style “black people do this », « That some black people stuff ».

Rae ne cherche pas le consensus. Trop facile. Et peut-être est-ce la valeur ajoutée de cette série. Décrire une expérience américaine souvent négligée, constamment caricaturée, et la confronter aux représentations dominantes.

Vous lisez l’avis d’un convaincu (au cas où vous ne vous en seriez pas rendu compte).

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