Une nouvelle enquête du Supplément Enragé consacrée au traitement des Yézidis au Moyen-Orient, victimes d’exactions de la part de la mouvance terroriste Daesh.
par Alexandra Marchand
Le 3 août 2014, les Yézidis, communauté kurdophone, devient la cible de Daesh en Irak. Minorité confessionnelle et adepte d’une religion monothéiste, leurs différences religieuse avec l’Islam radical de Daesh, qui les qualifie « d’adorateurs du diable« . Victime d’un véritable nettoyage ethnique, le peuple Yézidi est depuis persécuté, tué, chassé et torturé au sein d’un pays meurtri par les guerres et la division communautaire.
Le peuple Irakien, dans l’abysse des guerres
L’histoire d’Irak et de ses populations, est marquée par l’existence de clivages ancestraux aux composantes ethno-confessionnelles différentes, qui ont mené des conflits communautaires dont le peuple Yézidis est aujourd’hui toujours victime. Le 22 septembre 1980, la guerre Iran-Irak implose lorsque l’Irak attaque sans avertissement son opposant. Cette guerre, déclenchée par le dictateur Saddam Hussein, durera huit ans et fera 800 000 victimes. À l’époque président, il s’oppose aux chiites d’Irak soutenus par l’Iran, craint une Révolution islamique et ravive un ancien conflit frontalier de la possession du Chatt el-Arab à la frontière de l’Irak et de l’Iran, dont la question avait été traitée lors de l’accord d’Alger du 6 mars 1975. Ainsi, en échange de la reconnaissance par l’Irak des frontière du Chat al-Arab, l’Iran apporte son soutien aux kurdes d’Irak, résultant à une annonce le 17 septembre 1980 de Saddam Hussein déclarant que l’accord n’est plus en vigueur, et le 22 septembre 1980, il donne l’ordre à l’armée irakienne d’envahir l’Iran. Le bilan de la guerre sera lourd économiquement pour l’Irak, mais placera Saddam Hussein comme le défenseur des sunnites au Moyen-Orient.

La guerre du Golfe éclatera pour sa part le 2 août 1990, jusqu’au 28 février 1991 suite à l’invasion et l’annexion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein. Pour des raisons administratives, le Koweït était relié au gouvernorat de Bagdad après son occupation ottomane, et lors du démantèlement de l’empire ottoman, les Britanniques restituent une souveraineté koweïtienne. Très pauvres, à la découverte de pétrole, les Koweïtiens gèrent leur ressource en investissant avec le monde entier. En 1990, Saddam Hussein accuse le Koweït d’avoir volé le pétrole irakien, une stratégie masquant l’incapacité de l’Irak à rembourser les 80 milliards de dollars empruntés au Koweït lors de la guerre avec l’Iran. Ce conflit nécessitera avec l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, et une coalition de 35 états dirigés par les États-Unis. Cette guerre se partagera en deux grandes opérations, « Bouclier du désert » et « opération Tempête du désert ». Suite à une occupation irakienne de 7 mois, l’offensive de la coalition durera 42 jours. De cette invasion, un embargo décidé par l’ONU est placé à l’encontre d’Irak, une décision qui aura des conséquences catastrophiques sur un point de vue sanitaire, social et économique.
Le 20 mars 2003, ce sont les terres d’Irak qui sont envahies par la coalition menée par les États-Unis contre Saddam Hussein et son Parti Baas. Suite aux attentats du 11 septembre 2001 commis par Al-Qaïda, le Président Américain George W. Bush attaque l’Irak le 20 mars 2003, sous le nom d’ « opération Liberté Irakienne » avec pour objectif « d’instaurer une démocratie » et renverser le parti de Saddam Hussein. Cette opération, habillée sous le concept de guerre préventive, est menée sous les ordres du président américain qui prétend parer la menace des armes de destruction massives possédées par l’Irak. Des informations provenant de l’administration de Georges W. Bush qui affirmait détenir des preuves, à tort selon l’ONU. Sous les bombes, ce seront plusieurs milliers de civils irakiens qui seront victimes, dont les chiffres ne cesseront de se multiplier suite aux conflits qu’à créer l’occupation de la coalition.

La naissance du djihadisme au cœur d’une guerre asymétrique
Le démantèlement du gouvernement Irakien, entraîne une guerre asymétrique dans laquelle sont impliqués plusieurs groupes d’insurgés. Se forme alors du côté des sunnites une guérilla irakienne composée principalement par l’Armée islamique, par les bassistes du régime de Saddam Hussein, et par les djihadistes d’Al-Qaïda. De cette guérilla né alors l’État islamique d’Irak en 2006 qui s’oppose aux différentes milices chiites, déclenchant le 22 février 2006, suite à l’attentat du sanctuaire Al-Askari à Samarra, le début de la première guerre civile irakienne qui causera plus d’une centaine de milliers de morts. L’État islamique, également, connut sous le nom de Daesh naît donc au cœur d’un conflit communautaire entre chiites et sunnites menant des violences égales à aucune autre. Leur aspiration est celle de s’établir en tant que guide universel de la communauté musulmane, se considérant chacun le gouvernement légitime de l’Irak. Alors que l’armée américaine se retire en décembre 2011, de nouvelles tensions confessionnelles, font surface suite au ralliement des milices chiites au gouvernement. Deux ans après le départ des troupes américaines, les djihadistes de l’État islamique s’emparent d’une partie de l’Irak, avec une offensive foudroyante qui débutera avec la prise de Mossoul lors de la seconde guerre civile Irakienne. En juin 2014, après avoir lancé une offensive sur l’Ouest Irakien, leur leader Abou Bakr al-Baghdadi proclame la fondation d’un califat. En août 2014, se forme alors une nouvelle coalition internationale des forces américaines soutenant les forces armées irakiennes et le gouvernement régional du Kurdistan contre l’État islamique, qui parvient à reprendre les principales villes conquises. L’État islamique est donc chassé des centres urbains, mais maintient la terreur en réalisant des actes terroristes et des actions de guérilla dont le peuple Yézidis est victime.

Le peuple Yézidi, victime d’un nettoyage ethnique
Communauté Kurdophone en Irak, les Yézidis font partis d’une des populations des plus anciennes de la Mésopotamie, dont les croyances apparurent il y a déjà plus de 4 000 ans. Cette communauté exerce une religion issue d’une branche musulmane non-chiite, et on compte ses adeptes au nord-ouest de Mossoul, mais également en Iran, Turquie, Arménie, et en Syrie. Ils possèdent les caractéristiques ethniques des Kurdes, que l’on retrouve dans leur dialecte, le kurmandji, et dans leurs caractéristiques physiques. Les Yézidis se démarquent cependant par leur religion considérée par certains comme « paganisme à prétentions islamiques » qui leur à value des persécutions. Les traditions, elles se transmettent par voix orales, et l’on devient Yézidi que par naissance. Ce peuple est parvenu à préserver une certaine autonomie en Irak au sein des montagnes du Sinjar, peuplée uniquement par les Yézidis. Lorsque l’État islamique envahit le Nord-est de l’Irak, la communauté devient la cible des djihadistes, les qualifiant d’ « adorateurs de diable ». Le 3 août 2014, la plus importante ville yézidie d’Irak, Sinjar est envahie, et au cours de cette offensive des milliers de Yézidis seront tués, kidnappés, torturés, les femmes réduites à l’esclavage sexuel. 35 000 yézidis fuirent vers les montagnes sans eau ni nourriture par le corridor de Sinjar et encerclés par les djihadistes, ce sont les forces Kurdes et Syriennes qui viennent en aide aux réfugiés, avec le soutien de l’aviation américaine en bombardant les armées de l’État islamique. Victimes d’un véritable génocide, ce n’est pas la première fois que le peuple Yézidi est persécuté, car en août 2007, quatre attentats-sucides simultanés, et orchestrés par Al-Qaida avait causé plus de 400 morts en Mésopotamie. Cet attentat meurtrier avait pour cause l’union d’une jeune sunnite à un jeune garçon yézidi. Face à une crise humanitaire sans précédent, les États-Unis promettent les ressources nécessaires et déclarent le niveau maximum d’urgence humanitaire. Aujourd’hui, ce peuple encore sous les griffes de l’État islamique est en quête de justice, un combat mené notamment par la militante yézidie victime de Daesh, Nadia Murad, qui devient en 2016 ambassadrice de bonne volonté de l’Organisation des Nations Unis. Elle recevra pour ses témoignages et son roman « Pour que je sois la dernière », dans lequel elle décrit les horreurs infligées à son peuple et les violences sexuelles subies par les femmes, le prix Nobel de la paix en 2018.

« Je rêvais de finir mes études secondaires, d’ouvrir un salon de beauté dans notre village et de vivre près de ma famille à Sinjar. Mais ce rêve a tourné au cauchemar. »
Nadia Murad
En Allemagne, principal foyer de yézidis au monde après l’Irak, le premier procès pouvant prouver le génocide du peuple Yézidi à eu cours en octobre 2020. Taha al-J, ancien combattant de l’État Islamique est jugé à la Haute Cour régionale de Francfort pour le meurtre d’une enfant yézidi. Les procureurs tentent cependant de prouver que l’incident s’inscrit dans une démarche de génocide de la part de l’organisation islamique d’Irak. Ce cas représente donc un premier pas vers la justice pour l’ensemble d’une communauté persécutée. À l’heure actuelle environ 3 000 yézidis sont encore portés disparus et le samedi 6 mars le papa François se rend en Irak et rend hommage aux yézidis déclarant : « Je ne peux pas ne pas rappeler les yézidis, victimes innocentes de barbaries insensées et inhumaines, persécutés en raison de leur appartenance religieuse, dont l’identité même et la survie ont été menacées. »
Sources
- Photo de couverture: AFP, Safin Hamed
- « Guerre d’Irak: 10 ans et des centaines de milliers de morts« , Nouvel Obs (20 mars 2013)
- « Les Yezidis célèbrentleur nouvel an dans le temple antique de Lalesh« , Middleeaste.ye [en ligne]
- Fred Kaplan, « La guerre en Irak: de la chute de Saddam Hussein à l’effondrement du Moyen-Orient ?« , Slate, [en ligne], (18 mars 2013)
- Julien Chabrout, « Camps, nombre, évasions… Ce qu’il faut savoir sur les djihadistes français en Syrie« , L’Express, [en ligne], (18 octobre 2019)
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