Une nouvelle enquête du Supplément Enragé sur la possibilité ou non pour des états sécessionnistes d’accéder à une indépendance reconnue par le droit international.
par Beatriz de León Cobo
Sur tous les continents du monde, il existe des communautés qui ne se sentent pas représentées par l’État-nation dans lequel elles vivent et qui veulent en devenir indépendantes. On pense par exemple aux Touaregs au Mali et leur Azawad, les Kurdes avec le Kurdistan ou le cas de la République d’Ossétie du Sud dans le Caucase du Sud. Ces exemples sont différents des territoires contestés entre deux pays qui considèrent faisant partie de leur territoire, comme les îles Malouines, contestées entre le Royaume-Uni et l’Argentine ou les îles Senkaku / Diaoyutai, contestées entre la Chine et le Japon.
Compte tenu du fait que les États ont été construits et déconstruits depuis leur création, il est normal qu’il y ait des territoires et des peuples qui veuillent changer les frontières établies. Bien que la communauté internationale ne soit généralement pas favorable à la sécession ni à l’indépendance, l’article suivant examine pourquoi cette position de maintien du statu quo est si importante et quelles sont les exceptions.
Les trois principes du droit
Trois principes du droit international posent problème lorsqu’il s’agit de modifier les frontières d’un État et favorisent le statu quo actuel : le respect de l’intégrité territoriale, l’égalité souveraine entre les États et la non-intervention dans les affaires intérieures.
Premièrement, l’intégrité territoriale des États est l’une des normes de jus cogens du droit international, qui est inscrite dans le droit international des Nations unies. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe intègre et souligne également ce principe dans l’Acte final d’Helsinki du 1er août 1975. Cela signifie qu’en règle générale, les États et leurs frontières sont inviolables, et qu’aucune action visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale d’un État ne sera soutenue à moins que tous les membres de cet État n’en aient décidé ainsi. Même lorsque certaines régions fonctionnent entièrement comme des États indépendants, la communauté internationale ne les reconnait pas.
Pour qu’il y ait indépendance, le gouvernement de l’État potentiel doit avoir un contrôle territorial, être reconnu par les autres États et, surtout, être reconnu par l’État d’origine, ce qui est d’une importance vitale pour le droit international, car il a toujours défendu le principe de l’intégrité souveraine. En effet, les Nations unies ne reconnaissent généralement pas l’intégrité des États à moins que la sécession n’ait été acceptée par l’État d’origine, comme dans le cas de Singapour, du Bangladesh et du Pakistan. En outre, s’il est vrai que la reconnaissance d’un nouvel État est un acte imputé à tout État, dans certains cas, le Conseil de sécurité des Nations unies peut décidé que les États ont l’obligation de ne pas reconnaître la nouvelle entité lorsque cela n’a pas été fait conformément au droit international. C’est le cas de la République turque de Chypre du Nord ou de la Republika Srpska. La base juridique de cette action est le chapitre VII de la Charte des Nations unies. En bref, même s’il existe des groupes séparatistes qui présentent toutes les caractéristiques d’un État (gouvernement, population et territoire en état de fonctionnement), la réponse par défaut des acteurs internationaux sera la non-reconnaissance de cette nouvelle entité.
L’exemple de Taïwan
Le cas de Taïwan est un exemple de reconnaissance d’États. Le gouvernement de Taïwan a investi dans de nombreux pays africains, latino-américains et divers pays insulaires afin d’être reconnu comme un État indépendant de la Chine. En conséquence, 21 États en sont venus à reconnaître Taïwan comme un État souverain, dont le Guatemala, le Belize, le Paraguay et le Swaziland. Dans le cadre de la communauté internationale, ces États ont relativement peu d’impact. Ainsi, alors que Taïwan pourrait être considéré comme ayant les caractéristiques d’un État souverain, puisqu’il n’est pas reconnu par la Chine, la communauté internationale ne le reconnaît pas et ne le reconnaîtra pas. En revanche, dans le cas du Sud-Soudan en 2011, le Soudan lui-même l’a reconnu et a été admis aux Nations unies un jour plus tard.
« Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes »
Il existe un cas particulier où des territoires sont autorisés à devenir indépendants sans la bénédiction de l’État auquel ils appartiennent. C’est le cas des territoires en cours de décolonisation. Pour ce faire, on utilise le droit à l’autodétermination des peuples, qui a une portée juridique claire, c’est-à-dire le droit à l’indépendance, exclusivement dans le cadre de la décolonisation.
Le droit à l’autodétermination, en plus d’être reconnu dans la Charte des Nations unies, a également été reconnu au milieu du XXe siècle par l’Assemblée générale des Nations unies, lorsqu’elle a déclaré dans une résolution intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » que:
[…] tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes […], les peuples dépendants peuvent exercer pacifiquement et librement leur droit à l’autodétermination et leur droit à l’indépendance complète.
Cette règle définit ces peuples comme étant « soumis à la subjugation, à la domination et à l’exploitation étrangère« . Ce droit à la détermination, selon la résolution 1514 (de l’Assemblée générale de l’ONU), est compris dans le cadre de la décolonisation.
La résolution 2625
Il y a une autre résolution à prendre en compte : la résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations unies de 1970, qui demande aux États de « mettre rapidement fin au colonialisme« . Elle rappelle que:
[…] aucune des dispositions précédentes ne doit être interprétée comme autorisant ou encourageant une action quelconque qui démembrerait ou porterait atteinte, totalement ou partiellement, à l’intégrité territoriale d’États souverains et indépendants »
Ils ajoutent qu’ils doivent agir conformément au principe de l’égalité des droits et de traitement.
La plupart des pays présents à l’Assemblée générale des Nations unies célèbrent leur 70e anniversaire en tant que pays indépendants. Après la dissolution de la Yougoslavie, il n’y a eu que quelques cas où la sécession a été reconnue. Les États les plus récemment reconnus par la communauté internationale ont été le Kosovo (2008) et le Sud-Soudan (2011).
Indépendance: l’exemple kosovar
Le cas du Kosovo est intéressant parce que c’est l’une des premières occasions où le principe de l’autodétermination des peuples n’a pas été utilisé ni accepté par l’État d’origine, alors qu’une grande partie de la communauté internationale l’a reconnu comme indépendant. Ayant proclamé l’indépendance en 2008, la Cour internationale de justice aurait dû, en 2010, clarifier la question de la portée du droit à l’autodétermination en dehors du phénomène du colonialisme, dans l’avis consultatif qu’elle a rendu. Bien que cette Cour n’ait pas fourni de lignes directrices pour la sécession, la théorie utilisée était la « sécession corrective« . La raison principale de la reconnaissance de l’autodétermination sans l’acceptation des Serbes dans le cas du Kosovo était la violation massive des droits de l’Homme du peuple kosovar en Serbie. Le Conseil de sécurité a soutenu l’indépendance du Kosovo (résolution 1244) en reconnaissant que c’était la seule façon de parvenir à une protection durable des droits fondamentaux du groupe ethnique persécuté. La Russie a cherché à appliquer le même principe au cas de la Crimée, en invoquant la nécessité de protéger la population locale de la répression du gouvernement ukrainien.
Un processus d’indépendance complexe
En bref, bien que le droit international reconnaisse la création d’un État lorsqu’il fonctionne déjà de facto, c’est-à-dire lorsqu’il réunit les trois éléments constitutifs (territoire, population et gouvernement efficace et indépendant), l’État naissant doit être reconnu par la communauté internationale et en particulier par l’État dont il se sépare ; sinon, il ne pourra pas établir de relations juridiques avec d’autres États. Bien que le droit international ne règle pas directement la question de la sécession, il ne semble pas y avoir de neutralité ; l’ordre juridique international protège l’intégrité territoriale de l’État prédécesseur et dicte donc la permanence de celui qui cherche à obtenir l’indépendance.
Bibliographie et sources
- Image de couverture (2014 © Getty)
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[NDLR: Cet article a été précédemment publié en novembre 2020, en espagnol, dans The Kootneeti Español. L’auteure ayant rejoint notre équipe de journalistes, elle a retranscrit son article en français pour notre journal. Cette version française n’est donc aucunement accusable de plagiat puisqu’il s’agit du travail même de l’auteure qui a décidé de nous offrir l’exclusivité de cet article jusqu’ici inédit en français pour Le Supplément Enragé.]
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