Une enquête du Supplément Enragé sur la situation dramatique dans la région du Sahel en matière de sécurité et de terrorisme.
par Beatriz de Leon Cobo
Depuis la révolution touarègue de 2012 au Mali, la crise sécuritaire au Sahel s’est aggravée de façon exponentielle et s’est étendue au nord du Burkina Faso, à l’ouest du Niger et au centre du Mali. Les trois axes de la violence dans la région du Sahel sont la violence intercommunautaire, la criminalité commune et le djihadisme.
Un contexte favorable aux groupes armés
Profitant du chaos de la révolution touarègue et du coup d’État de 2012, des groupes armés du nord du Mali se sont déplacés vers le centre, provoquant le retrait des quelques troupes présentes dans la région. Certains des groupes armés étaient des séparatistes touaregs, d’autres étaient des groupes djihadistes et d’autres encore des milices d’autodéfense créées ad hoc pour lutter contre les groupes mentionnés précédemment et se défendre contre la criminalité de droit commun. Malgré l’entrée des troupes françaises de l’opération Serval pour combattre le djihadisme en 2013, qui deviendra plus tard l’opération Barkhane, les groupes djihadistes ont profité de l’absence des forces et corps de sécurité maliens dans la région du nord et du centre du Mali pour s’étendre dans toute la région. Les accords de paix, signés en 2015 pour mettre fin à la révolte touarègue, ont permis de démobiliser certains groupes armés dans le nord du Mali, mais ils n’ont pas pu mettre fin à la menace djihadiste qui, depuis 2015, a augmenté le nombre d’attaques et de groupes djihadistes dans la région.
La menace djihadiste n’est pas la seule présente dans la région. Les milices d’autodéfense organisées et consolidées sous prétexte de mettre fin à la menace djihadiste, parfois avec la bénédiction de leurs gouvernements, ont perpétré de véritables massacres contre la population civile, comme celui qui s’est produit à Ogossagou (Mali) en mars 2019 aux mains de la milice Dogon Dan Na Ambassagou, ou les meurtres de Yirgou en mars 2018 aux mains du groupe armé Mossi Koglewogo.
Des conflits communautaires amplifiés
Les actions des milices d’autodéfense sont liées à deux phénomènes affiliés aux conflits intercommunautaires. Tout d’abord, les conflits entre les communautés Dogon et Peul dans le delta du Niger avaient augmenté avant la révolution touarègue de 2012 en raison d’une série de politiques de décentralisation, d’utilisation des terres et de l’eau mises en œuvre par le gouvernement malien. Si l’on ajoute à cela l’augmentation démographique de la région (les provinces centrales du Mali ont un taux de natalité moyen de 7 enfants par femme), et les processus de désertification et de changement climatique, on trouve une région où il y a moins de ressources pour de plus en plus de population et, par conséquent, les tensions entre les communautés augmentent. À partir de 2012, de nouveaux phénomènes viennent augmenter les tensions et les réactions de ces communautés ; la criminalité a augmenté en général en raison du retrait de l’État et du conflit dans le nord du pays et a apporté avec lui des armes auxquelles les communautés avaient accès.
Deuxièmement, l’autre cause de violence envers la population civile Peul est le fait que le discours djihadiste dans le centre du Mali, l’ouest du Niger et le nord du Burkina a attiré les communautés pastorales nomades peules. Cela a généré une méfiance envers cette communauté de la part d’autres groupes communautaires, mais aussi de la part de l’État, ce qui a parfois conduit à des abus de la part des forces de sécurité de l’État. Comme dans toute région en conflit, la criminalité de droit commun, le trafic d’armes, la traite des êtres humains et le trafic de drogue augmentent également en raison du manque de capacité des forces de sécurité de l’État à faire face à toutes les menaces à la fois et parce que les réseaux du crime organisé génèrent des alliances de complaisance avec des groupes armés afin de profiter des zones non contrôlées par l’État.
Une dégradation de l’état sécuritaire au Sahel
En 2020, nous sommes confrontés à un paysage qui s’est dégradé en matière de sécurité, de gouvernance et de cohésion sociale depuis 2012. En raison de la perméabilité des frontières, la faction Daesh du Sahel, l’État islamique du Grand Sahara, s’est établie dans la région du Liptako Gourma, réalisant la plupart de ses attaques à 100 km de la frontière entre le Mali et le Niger. D’autre part, le réseau terroriste JNIM, lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique, a réussi à s’implanter dans la bande centrale du Mali et dans le nord du Burkina Faso, grâce à ses relations étroites avec le groupe djihadiste Ansaroul Islam. Le leader de Katiba Macina, Amadou Koufa, un groupe qui fait partie du réseau JNIM, et le chef d’Ansaroul Islam, Ibrahim Mallam Dicko, entretiennent une relation personnelle étroite.
Après sept ans d’opérations antiterroristes avec une mission des Nations unies, plusieurs missions de formation et de renforcement des capacités de l’Union européenne (EUTM-Mali, EUCAP Sahel Mali et Niger), et l’opération Barkhane, à laquelle participent plusieurs pays européens (Task Force Takuba), le gouvernement malien s’interroge sur la possibilité de négocier avec certains dirigeants djihadistes pour mettre fin à la spirale de la violence, malgré l’opposition française à la négociation.
Enfin, le coup d’État d’août 2020 au Mali, les élections tendues au Burkina Faso en novembre dernier et les prochaines élections au Niger en décembre lient la crise sécuritaire aux défis de la gouvernabilité dans ces États, où la présence de milices d’autodéfense et de groupes djihadistes rend le développement économique et social impossible. À tout cela, il faut ajouter le défi de la pandémie, qui a été très difficile à gérer dans des pays où les mesures de confinement et les restrictions de mobilité ont gravement affecté les économies de la région, augmentant l’extrême pauvreté, la malnutrition et les phénomènes migratoires.
Sources
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Photo : UN Peacekeepers Arrive at Niger Battalion Base in Eastern Mali/UN Photo
[NDLR: Cet article a été précédemment publié en décembre 2020, en espagnol, dans Observatoire contre les menaces terroristes et la radicalisation djihadiste OCATRY- INISEG. L’auteure ayant rejoint notre équipe de collaborateurs, elle a retranscrit son article en français pour notre journal. Cette version française n’est donc aucunement accusable de plagiat puisqu’il s’agit du travail même de l’auteure qui a décidé de nous offrir l’exclusivité de cet article jusqu’ici inédit en français pour Le Supplément Enragé.]
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