Une nouvelle Enquête du Supplément Enragé consacrée au coup d’état militaire ayant renversé en Birmanie le gouvernement dont Aung San Suu Kyi était membre à quelques semaines des élections présidentielles qui étaient prévues.
par Alizée Studzinski
Personnalité contestée sur la scène internationale pour sa gestion des droits humains et son inaction en faveur des injustices dont est victime la communauté Rohingyas, Aung San Suu Kyi a, pour la seconde fois, brillamment remporté les élections législatives de son pays en novembre 2020. Mais officiellement à quelques jours d’un scrutin présidentiel, en passe de la mettre une nouvelle fois à la tête de l’Etat, Aung San Suu Kyi et le président birman Win Myint sont arrêtés par l’armée nationale.
Birmanie : de la dictature militaire à la démocratie
Depuis son indépendance le 4 janvier 1948, la Birmanie a eu une histoire politique tumultueuse. Après des années de luttes politiques, le général Ne Win prend le pouvoir par un coup d’Etat. Il cumula les fonctions de président, Premier ministre et président du parti unique. De 1962 à 2011, la junte militaire a donc dominé le paysage politique birman. Après plusieurs changements à la tête du pays, c’est en 2011 que le gouvernement va s’assouplir en instaurant un régime semi-civil, permettant même la tenue d’élections libres en 2015.
En 2015, la Birmanie opérait sa transition démocratique. L’année 2020, si particulière pour le monde entier avec l’arrivée de la Covd-19, a été une année historique pour la Birmanie. En effet, le 8 novembre 2020, le pays a connu sa première élection législative depuis la transition démocratique. Cette élection avait pour objectif de renouveler les membres de la Chambre des représentants (chambre basse) et de la Chambre des nationalités (chambre haute).
Le premier scrutin de 2015 a été remporté par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) menée par Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix en 1991. Conséquence d’une disposition issue de l’ex-junte militaire, Aung San Suu Kyi n’a pas pu devenir présidente de la Birmanie. Elle devient donc conseillère spéciale de l’Etat et porte-parole de la Présidence. Ce rôle lui confère les prérogatives d’un véritable chef de gouvernement. Néanmoins, Aung San Suu Kyi a dû « partager » le pouvoir car l’armée conserve une place importante dans les plus hautes sphères de l’Etat. Les militaires détiennent notamment trois ministères stratégiques : l’Intérieur, la Défense et les Frontières, mais aussi 25% des sièges au Parlement.

Les élections législatives du 8 novembre 2020 : un plébiscite contesté
Cette femme incarne l’opposition non violente face à la dictature militaire en Birmanie. C’est pourquoi sans grande surprise, les résultats des élections législatives de novembre 2020 ont permis au parti d’Aung San Suu Kyi de rester au pouvoir, et ce de manière significative. La Ligue nationale pour la démocratie remporte 330 sièges sur 440 à la Chambre des représentants, et 168 sièges sur 224 à la Chambre des nationalités. Le Parti de l’Union, de la solidarité et du développement (USDP), composé d’anciens membres de la junte militaire, était le principal opposant d’Aung San Suu Kyi. Il n’a remporté que 33 sièges dans les deux chambres réunies.
Pour autant, malgré une victoire nette pour le parti de l’actuelle conseille spéciale de l’Etat, la légitimité du scrutin législatif est remise en cause. Premièrement, officiellement à cause d’affrontements armés, le vote a été annulé dans quinze circonscriptions de la Chambre des représentants, et dans sept circonscriptions de la chambre des Nationalités. Certains soulèvent qu’il s’agit d’un moyen pour Aung San Suu Kyi de garantir sa victoire dans

des régions où d’autres partis ethniques étaient susceptibles de remporter les suffrages. Deuxièmement, plusieurs centaines de milliers de votants issus de la communauté Rohingyas n’ont pu participer au scrutin car ne disposent pas du statut de citoyen birman.
Ces élections législatives gagnées laissaient présager une victoire toute aussi nette pour Aung San Suu Kyi à l’élection présidentielle annoncée en février ou mars 2021. En effet, en Birmanie, ce sont les membres des deux chambres qui élisent le président et les deux vice-présidents. Mais l’affaire ne semble pas si simple. Alors même que la « dame de Rangoon » est adulée par une large majorité de la population, les élections législatives sont contestées par les forces armées nationales. Le 26 janvier dernier, le chef des forces armées birmanes, le général Min Aung Hlaing, souhaitait que la commission électorale mène des vérifications des listes électorales. Si cette vérification venait à ne pas être réalisée, le général soutenait que l’armée interviendrait, faisant alors planer la menace d’un coup d’Etat militaire. Le porte-parole de l’armée, le major général Zaw Min Tun a assuré que les élections « n’ont pas été libres, ni justes ». Les militaires soutenaient avoir recensé au moins 10 millions cas de fraude. La commission électorale conteste ces propos et n’a pas donné suite aux demandes des militaires.
Des relations dégradées

Les relations entre Aung San Suu Kyi et les autorités militaires se dégradant davantage, la menace d’un coup d’Etat devenait alors de plus en plus sérieuse. Pour autant, le 30 janvier dernier, les militaires déclaraient qu’ils respecteraient la Constitution actuelle et la loi, revenant alors sur les propos du 26 janvier soutenus par le général Min Aung Hlaing.
Pourtant, ce lundi 1 février 2021, les militaires ont mené ce coup d’Etat. Aung San Suu Kyi, le président Win Myint, et plusieurs hauts représentants de la LND ont été arrêtés. Au même moment, l’armée a pris la décision d’instaurer un « état d’urgence » pour un an qui confère les pleins pouvoirs au général Min Aung Hlaing, proche de la retraite. Malgré ce coup de force, ce dernier assure que des élections « libres et équitables » seront organisées prochainement. Ce général, principal opposant de la « dame de Rangoon », était l’instigateur de la répression contre les musulmans Rohingyas. Ainsi, ce putsch laisse craindre le retour d’un pouvoir autoritaire à la tête de la Birmanie, alors même que la population est aujourd’hui favorable à un développement économique et social. C’est pourquoi Aung San Suu Kyi demande aux populations de ne pas accepter ce coup de force militaire.
Sources
- Photo de couverture empruntée au Dauphiné Libéré (voir l’article du Dauphiné sur le lien)
- AFP, « derrière le putsch, un général à deux doigts de la retraite » [en ligne], Tribune de Genève (1 février 2021)
- AFP, « législatives en Birmanie : le parti d’Aung San Suu Kyi grand favori » [en ligne], L’Express (8 novembre 2020)
- AFP/Le Figaro, « Birmanie : l’armée dénonce les irrégularités lors des élections et n’exclut pas un coup d’Etat » [en ligne], Le Figaro (26 janvier 2021)
- AFP/Euronews, « Birmanie : l’armée dément les rumeurs de coup d’Etat » [en ligne], Euronews (30 janvier 2021)
- AFP, « Birmanie : l’armée assure qu’elle respectera la Constitution, le spectre du coup d’Etat s’éloigne » [en ligne], Yahoo (30 janvier 2021)
- AFP/REUTERS, « Birmanie : Aung San Suu Kyi exhorte la population à ne pas accepter le coup d’Etat » [en ligne], Le Monde (1 février 2021)
- COURMONT Barthélémy, « élections en Birmanie et maintenant ? » [en ligne], IRIS (13 novembre 2020)
- FALLETTI Sébastien, « législatives en Birmanie : les urnes renforcent le pouvoir d’Aung San Suu Kyi » [en ligne], Le Figaro (11 novembre 2020)
- FALLETTI Sébastien, « coup d’Etat en Birmanie : l’armée renverse Aung San Suu Kyi » [en ligne], Le Figaro (1 février 2021)
- PHILIP Bruno, « en Birmanie, des cadres militaires font planer la menace d’un coup d’Etat » [en ligne], Le Monde (30 janvier 2021)
- TAYLOR-ROSNER Noémie, « coup d’Etat militaire en Birmanie : la dirigeante Aung San Suu Kyi arrêtée » [en ligne], Courrier international (1 février 2021)
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