L’édito du 9 Janvier: Dettinger, gilets jaunes & médias, tous en tort ?

9 janvier Dettinger, justice

Christophe Dettinger (à droite), samedi 5 janvier 2019 sur le pont Sedar Senghor à Paris.

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L’édito du 9 Janvier 2019 concernant le mouvement de soutien citoyen affiché à l’encontre de Christophe Dettinger, boxeur et gilet jaune, et la couverture médiatique de cette nouvelle polémique.

Peuple, justice et journalisme: l’incompréhension

par Live A. Jéjé

C. Dettinger: martyr national ?

Christophe Dettinger est passé en comparution immédiate et est provisoirement placé en détention. La nouvelle vient de tomber, et la toile s’enflamme plus encore. Ce n’est visiblement plus ce qu’il se passe dans la rue, et depuis longtemps, qu’il faut sonder pour ressentir la violence qui déchire les français, mais bien nos réseaux sociaux, nos plateformes vidéo nos forums, nos sites de cagnottes en ligne.

Il y a une semaine, Eric Drouet était le nouvel héros national. Prisé, même par le politique. Si mouvement des Gilets Jaunes s’amenuisent et se durcit donc logiquement, ceux qui n’ont plus le temps ni l’envie d’occuper les carrefours ou les Champs-Elysées sont toujours présent, en retrait. Et Dettinger, par son acte « héroïque », grâce à la vidéo qu’il a posté avant qu’il ne se rende, après plus de 24 heures de recherche, au commissariat, de devenir l’énième martyr, symbole de ce peuple en colère et incompris que fait la France. Et, avantage à celui qu’on nommait jusqu’alors dans les milieux confidentiels des rings « le Gitan de Massy », pas un politique pour le récupérer. Tous se désolidarisent, contrairement à Drouet le pacifique (qui ne l’était pas tant…). Ne lui reste que la légitimité du peuple. Acquise sous l’œil effaré des médias.

L’on en voudra pour preuve cette collecte de soutien, qui devait venir aider le champion de boxe et sa famille financièrement, et qui a fini par atteindre en un jour pas loin de 120 000 €, avant que Leetchi ne la grève.

Ce soutien n’est pas celui d’un peuple aspirant à un régime anarchiste, ou même de révolution. Il n’est rien d’autre que de la lassitude, et d’une appréciation difforme de la situation, du fait de cette lassitude, et d’un manque flagrant de connaissances quant au fonctionnement des institutions judiciaires françaises, qui mène chez beaucoup à soutenir des faits, de plus accessibles de la manière la plus réelle qu’est la captation cinématographique, d’une nature intolérable. Ils ne voient qu’une chose : le faible, le pékin, ici notre boxeur, stigmatisé dans chaque tribune, expédié devant une justice qui a déjà assuré qu’elle serait non plus exemplaire, mais intraitable, quand le policier, le « puissant » commandant Andrieux, aura le droit à une autre procédure, inhérente à l’institution qui régit sa profession, via les pourtant terribles, de réputation, bœufs-carottes de l’IGPN, qui n’exige aucune immédiateté.

Ce qu’il s’est passé samedi dernier

Christophe Dettinger en prise avec un CRS

Il nous fait tenter de prendre du recul, d’analyser la situation sans se plier au préalable à la moindre obédience. Nous avons un homme, Dettinger, qui en sa qualité de citoyen, a, d’après les images disponibles, porté secours à une manifestante qui se faisait tabasser à coups de matraque par un policier. L’on peut ainsi considérer au premier abord que son action est aussi noble que n’est réputé son art. Ceux qui le soutiennent s’arrêtent à cela. Hélas pour ce boxeur, la suite montre autre chose, un homme qui se bat ensuite avec des CRS. C’est sur cela, sur cette action délibérée, et consciente, peut-être altérée, attisée par le climat tendu, les bombes lacrymogènes, le froid, la fatigue, tout ce qu’on voudra, qu’il faut que cet homme soit jugé, pas plus sévèrement qu’un autre. Et surtout pas, comme je le confiais il y a quelques jours, avec à sa charge des circonstances aggravantes du fait de sa maîtrise des arts martiaux.

Dans le même temps, à des centaines de kilomètres, nous avons un individu B, Andrieux, récemment promu à la Légion d’Honneur, filmé en train de faire usage de violences qui apparaissent, d’après ce que laisse supposer les images, gratuites.

Le lendemain sont lancées deux enquêtes contre ces deux individus. Se posent donc deux questions sur lesquelles le peuple s’indigne : celle de la culpabilité de Dettinger et celle de la  « justice à 2 vitesses » qu’ils craignent déjà, parce que Dettinger, conformément à ce que prévoit la loi, en sa qualité de simple citoyen passe devant les tribunaux de façon « classique » lorsqu’Andrieux doit d’abord passer par les bureaux de l’IGPN.

Le traitement de Dettinger n’est pas honteux. Son geste l’est bel et bien. Le traitement d’Andrieux n’est pas honteux. Son geste l’est bel et bien également, et même après que France 3 nous ait divulgué cet après-midi d’autres images inédites, montrant Andrieux se faire agresser quelques minutes avant les faits qui lui sont reprochés. L’injustice n’est pas le sort réservé à Dettinger, c’est la mansuétude avec laquelle sera traité celui d’Andrieux.  

L’impossibilité de débattre

Dans un climat où une partie de la population vomit toute notion de l’ordre, de l’autorité, de l’Etat et de ses représentants alors même que nous n’y avons pas encore fait référence, que cette nausée provoque la surdité à tout échange d’idées rationnel, respectueux, à tout débat sain pour invoquer le serinage des mêmes arguments avant d’en venir aux insultes, menaces et à la contrition rhétorique facile et automatique du rapprochement des idées de l’interlocuteur à celles des « puissants », les éructations de chacun donnent vite la migraine. Vais-je oser contredire une de ces personnes sur un point précis que je me verrai traité de « collabo », que l’on conclura hâtivement que je ne suis qu’un complice de mèche avec le gouvernement, la police. Que je suis l’exemple du parfait fasciste…Cela m’est arrivé plus souvent que je ne l’aurais voulu et pour rester calme, je cède au mépris, me disant qu’après tout, ils ne se gênent guère pour m’adresser le leur ; c’est la seule échappatoire pour ne pas haïr ces pauvres, d’intellect et de finance (moins que moi, mais ils l’ignorent, et n’hésitent d’ailleurs pas une seconde à me traiter de bourgeois, comme si le fait de l’être serait en soit honteux), ces incultes, ces idiots (justement parce qu’ils sont idiots et que l’on pardonne aisément plus la bêtise que tout le reste) ; leur demande quelle est leur définition exacte du fascisme, qu’ils ne connaissent de fait point, et enfin leur démontre que ce sont eux, par leurs raisonnements, leurs raccourcis tendant à mettre tout le monde dans le même sac du moment que l’on trouve quelque chose à redire à leurs propos, qui appliquent de fascistes procédés. Demeure heureusement quelques rages échanges pertinents, productifs, pour ne pas céder à l’envie de s’expatrier au Groenland.

Une prise de conscience des médias ?

Si le peuple est souvent bébête, ce n’est rien par rapport au festival de bien-pensance auxquels se livre les médias depuis samedi. Editorialistes, journalistes, intellectuels…Personne ne comprend. Ils commentent, choqués, ahuris devant ce que représentent vraiment les vidéos mettant en scène Dettinger ou Andrieux, et la vague de soutien nationale au premier qui s’en suit. « Comment peut-on accepter une telle chose se produire en France ? ». « Comment expliquer ce soutien manifeste des Gilets Jaunes à Dettinger ? » (et plus généralement, de l’ensemble des internautes). De la même manière qu’ils s’étaient retrouvés estomaqués devant la polémique « Pendez les blancs », alors que son auteur passe demain devant les tribunaux. De la même manière qu’ils n’avaient, il y a bientôt quinze ans, pas pris conscient de la colère qui sommeillait dans les banlieues. De la même manière encore qu’ils avaient soutenu, quasi unanimement, en accord avec l’ensemble des classes politiques, un référendum européen que les citoyens Français avait fini par rejeter. De la même manière, encore un peu plus tôt, qu’ils s’étaient ramassés une véritable claque dans la gueule le 21 avril 2002, en voyant leur favori, Lionel Jospin, se faire éliminer dès le premier tour de l’élection présidentielle au profit de Jean-Marie Le Pen.

Toujours le même effarement. C’est ce que je reproche à beaucoup d’orateurs, quel que soient leurs bords politiques, leurs parcours. Ils ne tirent aucun enseignement du passé, quand le peuple, désespéré, en tirent tellement, et avec un tel cynisme, qu’il se radicalise. Tous ces débatteurs, aguerris, se formalisent, s’interrogent, le visage grave (parce que tout ce qu’il se passe est en effet grave) de ce qui apparaît n’être que la suite logique d’un courroux populaire, d’une tragédie citoyenne dont la révolte des Gilets jaunes n’est que l’énième acte. Ceux qui nous avaient depuis des années prévenu, répété, jusqu’à nous saouler, jusqu’à ce que l’on leur réponde qu’ils étaient obsédés par l’objet de leurs trouilles, ce vers quoi la société tendrait ont tous été qualifiés de facho ou d’utopistes, selon leur ressentiment face à cette perspective. Des Zemmour, Finkielkraut, Onfray aux Besancenot et autres pontes de l’extrême-gauche, à l’autre bout de l’échiquier. Mais la classe médiatique, dans son ensemble, n’a pas su adapter sa grille de lecture.

Un peu à l’image de Rokhaya Diallo ; et l’exemple est d’autant plus intéressant qu’elle ne représente pas la classe dominante des médias mais se trouve être celle que l’on invite pour des nécessités de diversité ; qui regretta, selon ses dires du moins, la véhémence avec laquelle elle condamnait à longueur d’émissions, à tort ou à raison, ce n’est pas là la question, les provocations de Charlie Hebdo, et signifiait son désaccord à ce que le journal dispose d’une aide de l’état suite aux premières exactions contre ses locaux, en 2011. Elle avoua ne pas avoir imaginé possible qu’un tel sort lui soit réservé il y a pile quatre ans et deux jours, un 7 janvier introductif d’une année sombre pour la France. Ceux qui l’ont sévèrement critiqué suite aux attentats de 2015, pour ses positions sur le burkini, sont ceux qui sont frappés d’horreur devant les événements récents. Ils sont elle comme eux, tous enfermés dans la mobilité de leurs racines politiques profondes, sans jamais donner l’impression d’avoir mené la moindre réflexion sur ce qu’ils commentent depuis des décennies pour les moins mûrs d’entre eux.

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