L’édito du Supplément Enragé du Lundi 7 Janvier 2019 revenant sur le sombre week-end qu’a connu le monde du sport, entre les polémiques sur le boxeur gilet jaune, le steak de Franck Ribéry et le documentaire « Je ne suis pas un singe »
Je ne suis ni un singe, ni un steak, ni un gilet jaune
par Live A. Jéjé
Chacun d’entre nous a toute sa vie entendu que le sport, et les valeurs qu’il prône, sont des vecteurs d’unité, de partage, de vivre-ensemble, de tolérance. Et il est vrai que par le passé, sans même qu’il n’en ait pris l’initiative ; bien que de nos jours, il est question de quotas plus ou moins obscurs à déchiffrer en ce qui concerne la sélection des sportifs et leur répartition au sein des clubs ; il a beaucoup œuvré contre le racisme, pour l’entente des différentes communautés, des individus issus de toutes cultures. Et l’on pourrait décliner ainsi son influence méliorative à l’infini…De la même manière, on pardonne aisément, grâce à l’élévation sociale et la reconnaissance qu’il permet d’acquérir aux plus talentueux dans leurs disciplines, tous ses abus. Le dopage, la violence, la mégalomanie, sa prise en otage par l’ultra-libéralisme et son plus grand mal : ses supporters. Des fervents aux hooligans, des bastonnades viriles de troisième mi-temps dans les rues attenantes aux complexes sportifs aux comportements les plus xénophobes véhiculés par de pauvres types, dont l’ivresse que les matchs leur procurent réveillent leurs substrats les plus nauséabonds.
Un Gilet jaune champion de boxe
Ce week-end n’a point véhiculé ces concepts. Le sport, ses professionnels et leurs fanatiques ont été montrés du doigt. Samedi déjà, durant l’acte VIII du mélodrame des Gilets jaunes, un boxeur renommé, sacré champion, s’en est violemment pris à un CRS en usant, de ce qu’un principe judiciaire des plus stupides qualifie de « circonstance aggravante » de la maîtrise de ses poings pour en découdre avec les forces de l’ordre. Un principe stupide car caractéristique des hypocrisies propres aux nombreux Codes qui régissent la société. A partir du moment où une formation, qui plus est le cas échéant, à un niveau professionnel élitiste, apprend à quiconque comment mettre à bas un adversaire, comment peut-on reprocher à celui qui assène d’en détenir la maîtrise.

Ce boxeur doit être jugé, sévèrement, pour son acte. Frapper un représentant des forces de l’ordre, quoi qu’on puisse trouver à redire sur leur attitude, et il serait là une matière intéressante à développer, car il y en a un paquet (de choses à dire), mérite une sanction exemplaire. En quoi cependant conviendrait-il de rajouter à la charge de l’accusé ses aptitudes sportives, qui représentent par le prisme presbyte des institutions judiciaires et de la législation une « arme » à elle seule.
L’entrecôte de Ribéry
Dans le même temps, un autre aspect incontournable du sport contemporain, de la société marchande qu’elle a organisé au cours des trente dernières années, par l’investissement de capitaux privés, la déclinaison à l’outrance de produits dérivés, les contrats publicitaires mirobolants, était attaqué : le fric. Que diable Franck Ribéry était encore allé nous faire comme bêtise, à se payer une entrecôte dorée, dont la somme fut évaluée selon les différentes rédactions entre un SMIC et 2000 euros ? Cela faisait longtemps que l’on ne s’en était pas pris au sieur Ribéry, le monstre qui n’avait sûrement pas demandé à être défiguré, le gréviste de Knysna, le musulman converti qui faisait sa prière avant chaque match mais se tapait Zahïa, entre autres demoiselles, en tournante avec ses coéquipiers, le complice du chantage à la sextape de Valbuena (c’est connu, les petits s’attaquent à ceux qui le sont encore plus, schéma traumatique…), fuyard du mondial 2014 pour « problèmes de dos », le malchanceux, qui, peut-être à cause des carottes au cul qu’il se trimbale, a injustement raté le Ballon d’Or une année où il n’y avait guère de doute qu’il avait été le meilleur joueur mondial de la saison. Le peuple a, comme avec ses anciens présidents, qu’ils répudiaient et qui battent aujourd’hui des records d’opinions favorable, la mémoire courte. Ribéry, depuis la notoriété des débuts à l’OM était présenté il y a dix ans comme le petit prodige du foot français, et chaque amateur de foot entend encore résonner dans sa tête les éructations chaudes et tonitruantes de Thierry Gilardi (lui savait faire vivre un match aux téléspectateurs) « Vas-y mon petit » face à une équipe d’Espagne que l’on donnait parmi les favorites pour le mondial 2006 et qui se croyait sûre, à l’image de la presse internationale, qu’elle écraserait l’équipe de France en huitièmes de finale, et qui finit par se faire battre 3 buts à 1 par la France de Domenech qui nous mènerait à une des finales les plus controversées de l’histoire du ballon rond.

Un raz-de-marée de critiques et d’insultes s’en est suivie suite à la publication de cette vidéo du joueur du Bayer sur l’un de ses réseaux sociaux. Soit, le timing n’était certainement pas le bon. Se montrer tout sourire, devant une entrecôte environnant, selon la somme avancée par les médias, un salaire mensuel, à l’heure même où une révolte populaire liée à la précarité croissante bloquent les carrefours et battent les pavés de la capitale n’était pas malin. Mais doit-on lui reprocher ? Qui ne s’est au contraire jamais moqué, parce qu’en plus d’être facile, c’est véritablement drôle, de Ribéry et de la caricature du primate qui en a toujours été faite ? Et, lorsque l’on a déjà les couilles en or, se soucie-t-on que son bifteck en soit recouvert ?
Approximations et mauvaise foi
Il conviendra de préciser que finalement, la somme réelle de ce bout de viande était de 200 euros, et non pas 2000. A l’heure du véganisme, cela peut déranger les plus extrêmes d’entre eux, mais d’une manière générale, à l’image des intersectionnels, du renouveau féministe, des cercles « intellectuels » universitaires dans leur ensemble, tout sur terre semble les déranger. Dans cette déferlante de quolibets, il y en a une qui aurait mieux fait de se taire. Audrey Pulvar, et je le pense sincèrement, aussi sympathique, ravissante (désolé d’avance pour le machisme que me prêteront les féministes, et je double l’excuse auprès des intersectionnelles, puisqu’il est bien connu que lorsqu’un homme blanc valorise le physique d’une intellectuelle d’une autre couleur, c’est qu’il la méprise non seulement en tant que femme mais également parce qu’elle n’est pas blanche) et pertinente peut-elle être (trop rarement sans doute) sur certaines réalités, sur lesquelles elle ne manque pas de lucidité, n’a jamais fait preuve de beaucoup de jugeotte. Si l’on remettait des doctorats de bien-pensance, elle serait l’une des premières diplômées par rétroactivité.
« Monsieur @FranckRibery si vous ne savez pas quoi faire de votre argent, il reste plein de causes à financer et soutenir, dans le monde entier. »
Twitter, Audrey Pulvar
Un Tweet pour le moins direct de l’ancienne journaliste et présentatrice télévisée. Alors que le bad-buzz était né à l’encontre du footballeur, c’est rapidement vers celle-ci qu’il a fini par dévier. Et pour cause, Franck Ribéry se montre l’une des personnalités françaises les plus généreuses avec les associations humanitaires, comme il l’a prouvé en novembre dernier encore. De plus, Franck Ribéry n’a pas tardé à répliquer en rappelant à Audrey Pulvar que celle-ci avait déclaré il y a quelques années à propos de la polémique toute aussi ridicule que celle du steak doré de Ribéry concernant ses lunettes en écailles que la presse avait estimé à 15 000 €, qu’elles ne coûtaient que 3 300 €, verres compris, et qu’elle faisait ce qu’elle voulait de l’argent qu’elle gagnait.
Pulvar, belle joueuse cependant, a retweeté les retours les plus drôles quant à cette nouvelle preuve que l’hôpital se fout de la charité, sans prendre la peine de répondre, et en cela, elle en a bien raison, à l’inacceptable flux d’insultes racistes qui s’est alors déversé sur elle. Elle a toutefois tenté de s’expliquer à travers quelques réponses à des internautes plus corrects. Pour sombrer dans la mauvaise foi la plus totale…Comme lorsque l’un d’entre eux lui demande pourquoi le joueur devrait avoir à se justifier de l’argent qu’il gagne à la « sueur de son front », et qu’elle répond qu’il n’est pas là un besoin de glorification de la part des personnes aisées de montrer ou d’assumer qu’ils ont de l’argent (prenant en référence Gainsbourg et son fameux billet de 500 francs qu’il avait brûlé en direct à la télévision dans les années 1980). Il convient de se demander à quel moment Franck Ribéry s’est-il glorifié d’une quelconque manière de toucher les sommes astronomiques qui lui sont versées pour ses prestations sur le terrain. Cette « glorification », cette médiatisation n’aurait pas eu lieu si des esprits démagogiques n’avaient pas reproché à l’ex numéro 22 de l’équipe de France d’exposer la vidéo d’un repas servi dans un restaurant, comme le font des millions d’anonymes chaque jour sur les réseaux sociaux.
Dans un autre tweet, sans doute a-t-elle pêché d’orgueil, la question se pose toutefois vu son impertinence, elle a réitéré ses propos initiaux en insinuant que si Franck Ribéry avait encore assez d’argent après ses généreux dons aux associations qu’il soutient pour se payer une pièce de viande aussi sophistiquée, culinairement parlant, il ferait mieux de soutenir d’autres causes encore. Il n’en fallut pas plus pour relancer la colère des internautes. Et l’on ne peut que se demander comment cette femme, qui n’est pas arrivée là par hasard, qui dispose d’une faconde et de capacités intellectuelles développées, polémiste, habituée aux débats les plus houleux, aux stratégies rhétoriques les plus vicieuses des interlocuteurs qu’elle peut rencontrer, peut se piéger elle-même aussi lamentablement en en remettant une couche lorsqu’elle se permet de donner une seconde leçon de morale à un homme dont l’on a la preuve (bien que certainement, Mme Pulvar donne aussi de son temps et de son argent à des causes servant l’intérêt général) qu’il fait preuve d’une grande générosité, si dérisoire puisse-t-elle apparaître au prorata de son patrimoine global et qui s’offre, comme n’importe quel amateur de vin s’offrirait une bouteille prisée, un cadeau finalement pas si onéreux que cela pour un restaurant de luxe (ce qui nous rappelle la justification qu’avait donné Pulvar aux caméras de France O, quant à l’achat de ses lunettes, « un cadeau » qu’elle s’est fait, n’ayant pu « résister » à les prendre lorsqu’elle les vit) ?
Ribéry pas plus malin que Pulvar
Si Pulvar n’a pas brillé par son intelligence ce week-end sur Twitter, ce n’est rien comparé au principal intéressé, Ribéry, qui a préféré répondre à ses détracteurs comme ce pourquoi les français ont fini par le détester. Insultes et vulgarité. S’il a souvent été victime de polémiques ridicules ces dernières années du fait de ses frasques passées, qu’une icône footballistique, modèle pour des millions de jeunes dans le monde se permettent de conseiller à ceux qui le critiquent de « niquer » leurs mères et leurs grands-mères, de les affubler de « capotes trouées », est aussi ridicule que le buzz sur la dorure de sa viande.
Le monde du sport épinglé pour son racisme
Enfin, le sport, et particulièrement les clichés merveilleux abordés en introduction, et que l’on nous ressasse éternellement quand il convient de le défendre, a pris un sacré coup dans l’aile avec la diffusion du documentaire très attendu « Je ne suis pas un singe », qui s’intéressait à la question du racisme dont sont victimes les joueurs noirs en Europe. Entre comparaisons au singe de la part de gugusses ahuris en tribune, insultes, provocations en tout genre, parfois même de la part des supporters de l’équipe pour laquelle les joueurs en question mettent toute leur énergie, le documentaire a soulevé plusieurs problématiques, inhérentes à l’impossibilité philosophique pour nombre de pays de concevoir que l’on peut être noir et européen (les critiques à l’égard du nombre de joueurs noirs au sein de l’équipe de France, notamment adressée par des sélectionneurs de pays concurrents durant le mondial 2018 en est le dernier exemple flagrant en date), aux concepts si controversés de « races » et donc du racisme persistant dans le monde sportif ; et qu’il serait regrettable de traiter dans un édito, tant le sujet est vaste et mérite une réflexion plus approfondie que ne l’impose celle de l’exercice de la tribune journalistique ; mais surtout, encore et toujours, du comportement de ces fidèles parmi les fidèles, parfois hooligans, parfois tout bonnement fachos, qui peuplent les stades le dimanche.
Live A. Jéjé
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