L’édito du Supplément Enragé du 1er Mars 2020 concernant les propos racistes adressés par Nadine Morano à l’actrice Aïssa Maïga, suite au discours clivant de celle-ci sur la diversité lors de la cérémonie des Césars.
J’ai beau trouvé le discours d’Aïssa Maïga affligeant et contre-productif, je lui apporterai un soutien indéfectible face à Nadine Morano.
par Live A. Jéjé
Je le publiai il y a quelques heures sur ce site, dans un « Debrief » consacré à la 45e cérémonie des Césars, qui restera dans les annales comme l’une des plus houleuses qui n’ait jamais eu lieu, j’ai trouvé le plaidoyer d’Aïssa Maïga sur le manque de diversité dans le cinéma français (un manque de diversité qui est une réalité que l’on ne peut nier) atterrant de contre-productivité, affligeant de démagogie et malhonnête. Et ma position n’a pas changé, n’ayant pas pour habitude de me défiler par peur de devenir « infréquentable » comme le deviennent tous ceux qui émettent des critiques sur les discours prononcés par des personnes issues des « minorités », bien que je trouve que parler de ces gens en employer ce terme est déjà un manque de respect, puisqu’au lieu de les considérer comme n’importe quel être humain, cela les réduit d’emblée, selon les cas, à leurs origines diverses, leurs couleurs de peaux, leurs religions ou dans un autre registre leurs orientations sexuelles. Par ailleurs, cela me consterne d’autant plus que trop de ces personnes expriment elles-mêmes à longueur de tribunes leur « fierté » de faire partie de ces « minorités » trop souvent discriminées, comme s’il y avait une quelconque notion de fierté, de mérite personnel à être noir, arabe, asiatique, musulman, gay, lesbienne ou de descendance africaine, américaine ou asiatique, comme s’ils avait fait le choix de l’être et qu’ils le devinrent au terme d’âpres efforts, comme si l’on pouvait être fier d’être soi-même quoi que ce soit que l’on n’a pas décidé.
En désaccord certes, mais solidaire d’Aïssa Maïga
Malgré mon désaccord profond, tant sur le fond et sur la forme, d’avec l’argumentaire développé par Aïssa Maïga, et sur lequel la suite de l’article va s’attarder pour expliquer les raisons ARGUMENTEES et dénuées de XENOPHOBIE qui me poussent à ne pas le trouver acceptable, je tiens à lui signifier tout mon soutien face aux tonnes de propos orduriers qui ne reposent, contrairement aux raisons de mes critiques sur son plaidoyer, que sur la haine, la médiocrité et l’irrespect le plus total, et parmi eux, ceux de Nadine Morano en tête qui a invité la comédienne, qui est par ailleurs l’une des plus brillantes de sa génération, à « retourner en Afrique » suite à son discours Salle Pleyel vendredi soir.
Madame Morano, qui n’est pas à son coup d’essai en matière de dérapages xénophobes, a une nouvelle fois prouvé sa bêtise, sa vulgarité, le vide absolu de son discours. Le sentiment de profonde injustice vis-à-vis du traitement réservé sur les réseaux sociaux notamment à Aïssa Maïga depuis son discours, qui me pousse ce soir à prendre la plume, ne repose pas que sur ma volonté personnelle, égoïste, de m’insurger contre les saloperies racistes qu’elle s’est ce week-end prise dans la figure. C’est également pour m’adresser à m’adresser directement à elle, lui donner de l’espoir, lui dire ; à elle en particulier, mais aussi à tous ceux qui vivent les discriminations, quelles qu’elles soient, et la violence putride de ces ordures de haters qui n’ont de cesse de se cacher derrière leurs écrans pour déverser leurs fiels d’ignominie, d’insulter, de rabaisser, d’humilier ; qu’il existe encore des individus, dont je prétends faire partie dans cet édito, qui, chaque fois qu’elle subira ce genre d’attaques inadmissibles, mettront de côté le fait, sincère, de ne pas partager toutes ses idées, d’avoir des divergences de point de vue d’avec ses opinions, d’avoir trouvé son discours « affligeant », pour reprendre les mots que j’ai employé dans mon premier article la concernant, pour condamner fermement cette xénophobie nauséeuse sans la moindre concession.
Son plaidoyer sur la diversité
Sur la forme
Ceci maintenant exposé, je tiens à revenir plus en détails, ce que je n’ai pas fait dans mon « Debrief » sur ce pourquoi je ne peux cautionner le discours qu’Aïssa Maïga a tenu aux Césars. S’il me serait malhonnête de nier que le cinéma français a encore des efforts à faire en matière « d’inclusion », la mise en scène du long plaidoyer de la comédienne m’a profondément irrité.
Premièrement, car bien que je ne doute pas un instant de sa sincérité, du fait qu’elle avait à cœur de défendre les valeurs qu’elle a défendu, toute la portée positive que ses propos auraient pu avoir sont tombées à plat devant cette mise en scène, si « cinématographique », « synthétique » qu’elle a adopté.
Arrivant sur scène, magnifique, comme toujours, c’est avec l’impression de la voir surjouer complètement l’on ne sait quel type de personnage, de nous interpréter piètrement un sketch, (avant que l’on comprenne où elle voulait en venir et qu’elle reprenne sa posture habituelle à la fin de son discours), s’adressant sur un ton qui n’est ni celui qu’elle emploie d’ordinaire dans ses films, ni lorsqu’elle s’exprime dans des interviews (même son éclat de rire suintait « l’actor-studio ») qu’elle a pris à parti la Salle Pleyel pour lui offrir un numéro, volontaire ou non de sa part, d’inversion des rôles de « dominants » et de « dominés »…Histoire de pointer du doigt le fait que pour la première fois, ce genre de parenthèses engagées qui ont toujours été formulées par des actrices telles Agnès Jaoui ou dans un autre style, Isabelle Adjani (qui plus est en jouant sur sa personnalité lunaire, sa voix mystique, qui nous interroge toujours sur le degré de sincérité de ses propos dès qu’elle n’est plus sur les plateaux de tournage, où elle excelle toujours, tel qu’elle nous l’a rappelé au cours de la soirée en se parodiant elle-même dans une séquence vidéo très réussie), bref, des femmes qui n’ont pas eu à souffrir de certaines considérations honteuses de la part du milieu artistique, du fait de leur couleur de peau.
Très vite, cet avatar étrange, entre « parodie d’une actrice caricaturale » et « caricature de sa propre personne » a posé problème, tant on ne parvenait pas à discerner si l’on avait affaire à un véritable discours engagé à la Adjani ou une séquence où prédominait le 2nd degré. Le public lui-même ne semblait pas parvenir à comprendre ce qui se passait sur scène, Vincent Cassel le premier, pris à partie par Aïssa Maïga qui souhaitait lui rendre hommage. C’est circonspect qu’il a écouté les répliques semblant apprises par cœur de la comédienne, surinterprétées, tantôt méprisantes, tantôt condescendantes. De nombreux téléspectateurs, les tweets l’ont prouvé, étaient à l’image du public. Interrogatifs ? Singeait-elle une de ces « divas » à l’égo surdimensionné, lorsque sur un ton de baronne, elle a demandé à boire (rappelant au passage une célèbre séquence des Césars où une Isabelle Adjani quelque peu désorientée avait demandé un verre d’eau, avant d’être parodiée par Gad Elmaleh pour ses mimiques grandiloquentes), s’est saisie de la bouteille d’eau qu’un jeune homme était venu lui apporter en le remerciant sans lui accorder un regard, pour enfin lui signifier de rester près d’elle, au cas où elle aurait encore besoin de lui ?
La réponse était oui. Bien sûr qu’elle faisait exprès de passer de sa vraie personne (comme lorsqu’elle a rappelé qu’une « famille, ça se dit tout », sentant bien la gêne qui s’installait dans l’assistance mais qui contrairement à l’effet recherché n’était pas dû au sujet sur lequel elle commençait à se lancer, le manque de diversité, mais bien à une incompréhension de la « prestation » qu’elle était en train de réaliser) à la caricature de ce genre d’actrices d’une autre époque – il faut bien le dire, blanches puisque le cinéma était encore moins diversifié qu’il ne l’est déjà que faiblement de nos jours – pour mieux capter l’attention du public durant la suite de son discours, bien plus sérieux, au cours duquel elle développerait les arguments qu’elle tenait à faire passer. Hélas pour elle, ça n’a pas pris et condamné toute son intervention à retomber à plat. Peu ont semblé comprendre ses intentions. La stratégie n’était pas la bonne. Quitte à délivrer un message, elle aurait dû parler vraiment, sans mise en scène, sans parodie ni texte (même le coup du « Monsieur au premier rang sur votre téléphone » a sonné faux et intensifié le malaise). Mais elle a cru, pour des soucis d’efficacité, bon de commencer par tous ces effets de manche.
Jusqu’ici, l’on pourrait s’interroger sur les raisons qui peuvent pousser à considérer ce plaidoyer, dont la forme fut bousillée, comme irritant, désespérant. Après tout, l’on pourrait se dire que Mme Maïga a juste créé un petit moment de malaise, comme il y en a au moins un chaque année. C’est cependant la suite de toute cette mise en scène, puis du discours que cette dernière devait servir, qui me dérange profondément.
En effet, Aïssa Maïga s’est ironiquement félicitée, dans son alternance d’actrice moderne engagée et de « diva » condescendante, que depuis le début de sa carrière, elle a toujours aimé compter le nombre de « non-blancs », pour reprendre ses termes exacts, lorsque la grande famille du cinéma se réunit, et que ce soit, un raccord avait été battu puisque 12 non-blancs sur 1600 étaient présents. Le nombre était totalement mensonger. Les images prises du public tout au long de la soirée par les caméras de Canal + prouvent que ce fameux nombre (nombre dont elle s’est amusée, frôlant les frontières indigénistes, qu’en France, l’on refuse toute idée de recensement, de quotas de minorités depuis l’utilisation du procédé durant la 2nde guerre mondiale contre les personnes juives, recensement des personnes issues des minorités qu’il est effectivement choquant en théorie de compter mais, il faut l’avouer et donner crédit au discours indigéniste, se révèle fort bien utile dans la pratique d’effectuer pour se rendre compte qu’il y a indéniablement un problème de représentation des minorités dans de nombreuses branches de la société) était plus conséquent, ce qui nous pousse à conclure que celui de 12 a été choisi exprès par la comédienne pour lui permettre de faire au passage une petite allusion à la polémique autour de Polanski et des 12 nominations reçues par son film « J’accuse ». Conclusion confortée par le fait qu’elle ait quitté la cérémonie, en même temps qu’Adèle Haënel et Céline Sciamma, lorsque Polanski obtint le César du meilleur réalisateur.
Toute cette forme, pour le moins maladroite et surtout mal maitrisée par Maïga qui avait cru utile d’organiser de la sorte, et dont le paroxysme fut ce « comptage » de douze non-blancs dans la salle, a provoqué une gêne à double titre : d’une part, même les personnes « non-blanches », témoins du mensonge, et eux aussi circonspects de cette mise en scène étrange n’ont pas semblé adhérer au discours, sans doute conscients qu’il fut amené de façon contre-productive, et que de ce fait, il n’aura aucun impact véritable.
Sur le fond
D’autre part, et c’est là ce qui est le plus grave, le plus idiot, la gêne a point par la façon dont elle a choisi d’adresser directement son discours aux 1588 blancs qu’elle ne « pouvait pas tous compter sur ses dix doigts », via un amalgame ridicule, caractérisé par l’emploi du « vous » ; d’un « vous » unique, qui serait représentatif d’une masse d’individus sans libre arbitre, sans capacités de discernement, tous coupables ; entre le public et le « cinéma français » en tant que système. Alors que ce public, dans son immense majorité, réputé bienpensant au possible, humaniste, de conviction ou parce que c’est bon pour la réputation, n’a pas plus d’influence ou de pouvoir qu’Aïssa Maïga ou n’importe quel autre « non-blanc » sur les discriminations qui persistent dans le circuit cinématographique, et qu’il souhaiterait autant que les personnes issues des « minorités » voir ces dites discriminations disparaître.
Comment peut-on demander l’inclusion et se commettre en même temps dans un raccourci aussi bête, en mettant dans le même panier les prétendues 1588 personnes blanches présentes Salle Pleyel et les véritables responsables, bien moins nombreuses, d’un système qui discrimine (de moins en moins ces dernières années, certes, mais qui discrimine toujours, il convient là aussi de le reconnaître) ? Toute personne tolérante et à peu près censée, Aïssa Maïga compris, s’indigne lorsque de tels amalgames sont régulièrement proférés avec le même type de raisonnement, le même « vous » généralisé, pour ne prendre que ces deux exemples, qui assimile tous les jeunes de banlieue à des délinquants ou des musulmans à des islamistes, quand l’immense majorité des gens pointés du doigt n’ont strictement rien à se reprocher.
Il est tout fait à normal de dénoncer les turpitudes d’une industrie cinématographique. Mais l’emploi de ce « vous » ne favorisera en rien, comme il n’a guère d’effets positifs quand il est employé dans d’autres amalgames, l’inclusion. Bien au contraire, il n’amènera qu’à plus de divisions, d’individualisme, d’abandon de la solidarité. Du sentiment pour les trois quarts de ces 1588 blancs que Mme Maïga a cru bon de mettre en exergue d’être injustement accusé de soutenir des discriminations qu’ils répugnent tout autant que ceux qui en sont victimes.
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