L’édito du 10 Février 2022 du Supplément Enragé sur l’état de la droite française à deux ans des futures élections présidentielles.
par Live A. Jéjé
Dans un contexte politique saturé, entre les débats sur la réforme des retraites entreprise par le gouvernement d’Edouard Philippe, le regain d’intérêt pour les affaires sociétales, mises au-devant d’une scène médiatique (hier le voile, la laïcité, aujourd’hui les violences policières, Mila) friande de buzz et d’audience, et qui ne peut la trouver dans l’hégémonie de la classe politique sociale-démocrate dénoncée durant des années par le feu Front National notamment comme « l’UMPS » que l’élection d’Emmanuel Macron, ayant rassemblée au sein d’En Marché les deux symétries radicales de la gauche et de la droite républicaine, a renforcé, et l’approche des élections municipales, l’on ne saurait trouver une occasion plus propice pour les partis d’opposition pour tenter de faire entendre leurs voix.
Si le RN et la France Insoumise s’égosillent, bien que la teneur de leurs discours soient assourdis par les nombreuses casseroles qu’ils se plaisent à ajouter à leurs collections lors de sorties ou de révélations qui ne donnent guère envie de croire réellement à une possibilité d’alternance réaliste et compétente, les autres forces politiques semblent de plus en plus muettes. C’est dans cette atmosphère de confinement que les deux formations de la gauche et de la droite, représentés aujourd’hui sous les noms de PS et Les Républicains, qui ont gouverné notre pays durant presque soixante ans, verront leurs maires essayer de se faire réélire.
Le silence Républicain
Dans beaucoup de villes, ces majorités en place n’hésitent pas à jouer de l’argument faussement moderne du sans-étiquettes, comme si leurs administrés avaient oublié de quels partis les listes de 2014 se revendiquaient. Prétendre conduire des équipes indépendantes, les maires sortants auraient assimilé que s’assumer PS ou LR serait aujourd’hui un gage d’impopularité. A la question posée, l’excuse toute faite de la présence sur leurs listes de « profils » aux identités politiques différentes sera avancée avec la même démagogie que celle avec laquelle ils ont décidé de ne pas se présenter au nom de leur parti.
Ce tour de passe-passe qui ne dupe personne en dit long sur l’image que la gauche et la droite « classiques » ont aux yeux de l’électorat français. A gauche, Olivier Faure poursuit à pas de tortue son opération de rustinage du PS. A droite, après la déroute de Laurent Wauquiez ; qui avait cru pouvoir prétendre être le défenseur de la veuve et l’orphelin, des classes moyennes et populaires lésées par cette mondialisation dans laquelle le macronisme semble si à l’aise, des retraités ; aux élections européennes l’année dernière et la démission qui s’en était suivie de son poste de président des Républicains, c’est, à défaut d’un autre candidat crédible, Christian Jacob qui s’est imposé lors du Congrès d’Octobre 2019. Ce choix logique, Jacob ayant présidé le groupe UMP puis LR à l’assemblée durant presque 10 ans, est un premier signe de la compréhension du parti qu’il n’est plus destiné à gouverner comme ce fut le cas ces dernières décennies.

Le Choix Jacob
Pour la première fois depuis la création du RPR dans les années 70, les adhérents Républicains n’ont pas fait le choix de nommer à leur tête un de ces charismatiques hommes politiques ambitieux, au costume taillé pour la verticalité du pouvoir, qui n’a d’autre projet que d’incarner le renouveau du parti et présenter sa candidature à la prochaine présidentielle.
Un choix qui peut s’avérer à double-tranchant : si Jacob n’est apparemment pas là pour présenter sa candidature en 2022, certainement conscient du peu d’enthousiasme qu’il suscite (sa prise de fonctions sans effets de manche ni artifices tend à le démontrer), il sera plus bénéfique à LR de le voir tenter d’accomplir la tâche ardue ces deux prochaines années de reconsolider un parti dont un certain de nombre de cadres ont pris la fuite au lendemain de la défaite de François Fillon en 2017 pour se rapprocher de la majorité présidentielle, et dont un certain nombre d’électeurs historiques a fini, faute de voir en Wauquiez une alternative sérieuse à Macron, par s’abstenir ou voter, selon leur ex-positionnement au sein de la droite, pour En Marche ou le Rassemblement National, que de confier cette mission directement à celui qu’ils choisiront pour les représenter en 2022. Le parti a ainsi compris qu’il ne devait pas reproduire l’erreur de 2014 qui avait fait revenir Nicolas Sarkozy aux manettes et qui l’avait, par les habituelles critiques auxquelles un dirigeant de parti ne peut échapper, peu à peu grillé pour les primaires de 2016. Mais ce choix pourrait vite devenir contre-productif du fait de la difficulté pour un homme comme Jacob, aussi peu « présidentiable », de galvaniser d’autres foules que celles qui ne se sont pas encore éloignées du parti.
La stratégie qu’il doit mettre en œuvre pour ce faire, recentrer le parti sur une ligne idéologique plus proche de la droite tranquille et modérée d’un Juppé que la droite décomplexée et agressive des Sarkozy, Copé, Fillon ; qui avait réuni dans un curieux mélange les plus fervents défenseurs de l’ultra-libéralisme et la frange la plus conservatrice du parti de l’autre, n’hésitant pour ce faire pas à chasser sur des terres jusqu’ici réservées à l’extrême-droite, est toute aussi complexe, voire impossible. S’il est possible qu’il convainque ces ultra-libéraux de revenir de macronie, il apparaît moins crédible, aux vues des personnalités les plus présidentiables ou qui commencent à manifester leur intérêt pour 2022 pour représenter la droite républicaine (avec comme trio de tête François Baroin, bien que restant évasif sur la question, et les deux désencartés LR Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, plus directs sur leurs intentions), que Jacob parvienne à attirer de nouveau l’électorat conservateur qui avait en son temps profité à Nicolas Sarkozy. Pécresse et Baroin l’ont de toute façon compris et ont déjà annoncé tout refus de rapprochement avec l’extrême-droite. Tant pis donc, pour les électeurs de droite qui s’y sont égarés.
L’autre droite: le cas Dupont-Aignan

S’il y a un homme qui a bien compris cela, c’est bien Nicolas Dupont-Aignan. Coincé depuis des années entre Les Républicains et le Rassemblement National, sans espace électoral, il compte tirer de cette fragmentation de l’électorat républicain, son épingle du jeu, par la manœuvre audacieuse qu’il a commencé à réaliser en proposant une seule primaire à droite de l’échiquier politique afin de mettre en œuvre « l’union des droites », une idée qu’il défend longtemps, s’inspirant de ce que François Mitterrand était parvenu à construire à gauche. Dupont-Aignan sait très bien que cette primaire n’aura pas lieu, car ni Marine Le Pen, ni les Républicains ne pourront trouver de terrain d’entente, et même si, Les Républicains n’oseraient jamais déroger au pacte républicain qui s’est forgé en 2002 après l’accession au second tour de la présidentielle de Jean-Marie Le Pen. Lui-même d’ailleurs n’aurait aucun intérêt à ce qu’elle voit le jour, car il y a peu de chances qu’il en sorte gagnant.
Mais l’important n’est pas l’organisation de cette primaire : c’est la proposition qu’il a faite. Il espère qu’elle puisse trouver suffisamment d’écho pour ces électeurs passés des Républicains au RN afin de les séduire. Ceci ajouté à la cohérence qu’on pourrait trouver dans le fait qu’il a manifesté un courage (ou un culot…) certain en brisant le tabou du pacte républicain en appelant à voter pour la candidate la plus proche de son propre programme, Marine Le Pen, au second tour de la présidentielle de 2017, pour s’opposer à Macron, tout en infléchissant le programme de cette dernière sur les points qui lui semblaient les plus extrêmes (bien qu’il ait souvent prouvé ne pas avoir de leçons à donner en la matière) ; ralliement pour lequel il savait qu’il serait « jeté aux chiens » pour reprendre l’expression de son nouveau modèle Mitterrand ; ne suffira guère à le conduire à l’Elysée un jour, mais pourrait lui attirer la faveur de quelques bulletins supplémentaires parmi les électeurs déçus de l’incompétence de Marine Le Pen sur bien des sujets.
Baroin meilleur candidat pour la droite ?

L’identité de celui ou de celle qui se présentera avec le soutien des Républicains ou en leur nom demeure l’élément le plus indécis de cette auscultation générale de l’état de la droite française, à deux ans des prochaines échéances présidentielles. Le nom de François Baroin revient sur plus d’une bouche, et il ne jouit pas seulement d’une belle gueule, du charisme présidentiel, comme Macron en a bénéficié : un sondage publié en Novembre 2019 le donne plus « compétent » que le président à 55 % et plus « proche d’eux » à 70 %. C’est sur cette proximité avec le peuple que devra jouer Baroin s’il compte se lancer, prenant enfin son destin en main, après avoir raté le coche plusieurs fois au cours de la dernière décennie, si bien qu’il lui est reproché une forme de couardise qui n’est pas sans rappeler celle que François Mitterrand, à la fin de son second septennat, avait sans surprise trouvé chez Jacques Delors alors que celui-ci était attendu par la gauche pour se lancer dans la course à la présidentielle de 1995 et qu’il décida d’y renoncer. Baroin a été élevé à l’école chiraquienne et est réputé, grâce à son statut de leader de l’Association des Maires de France, sa défense des municipalités, de la ruralité et son expertise de la politique à l’échelle locale, pour être en phase avec les problèmes que les français rencontrent au quotidien, là où Emmanuel Macron parait de plus en plus déconnecté de ceux-ci.
Le plus dur restera donc à le convaincre de se lancer. Et une très longue attente pourrait profiter à ses deux possibles deux futurs adversaires.
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