L’édito du 5 Mars 2020 consacré à la polémique ayant secoué aujourd’hui Twitter suite à l’annonce par l’UNEF de Nanterre qu’elle renommera un amphithéâtre au nom d’Aya Nakamura à l’occasion du la journée des droits de la femme.
Soutien à Aya Nakamura (à 40 %), et soupçons quant à son instrumentalisation par l’UNEF
par Live A. Jéjé
Alors que nous nous apprêtons à célébrer comme chaque année, la Journée Internationale de Lutte pour les droits des femmes, l’UNEF (Union National des Etudiants de France) de l’université Paris-Nanterre a décidé de renommer pour l’occasion les amphithéâtres de l’établissement par des noms de femmes qu’ils ont considéré « influentes ».
Pour annoncer leur initiative, les membres de l’UNEF de Nanterre ont publié un tweet en faisant le choix de mettre en exergue quelques femmes parmi celles choisies par l’union : Beyonce, Aya Nakamura, Rokhaya Diallo, Assa Traoré (qui se bat pour faire reconnaître l’injustice présumée qu’aurait subie Adama Traoré).
C’est un véritable flot de réactions, tantôt moqueuses, du choix de faire figurer Aya Nakamura parmi ces femmes « influentes », tantôt désapprobatrices (mais, nous le verrons, la frontière entre les deux types de critiques est subtilement reliée par des ponts qui ne peuvent les dissocier totalement) quant à la ligne idéologie soupçonnée d’être à l’origine de ce choix de noms.
Un tweet purement commercial ou révélateur d’une idéologie ?
Une liste totalement « racisée » ?
Parmi cette seconde catégorie d’internautes contestataires, c’est bien entendu la question, cent fois soulevé ces dernières années, de la présence exclusive, parmi les quelques personnalités citées par l’UNEF d’individus « racisés », pour reprendre le terme utilisé par les courants intellectuels indigénistes et décoloniaux qui ont acquis une popularité indéniable au sein des universités, parisiennes particulièrement, ces dernières années.
Les 4 noms qui ont été cité dans le tweet promotionnel de l’Union Nationale des Etudiants de France de l’événement, ne couvrant pas le nombre d’amphithéâtres que l’université de Nanterre possède, les jours prochains nous apprendront sûrement si toutes les femmes que l’UNEF qui ont jugé assez influentes pour renommer ces salles de cours ou de conférence seront toutes ou non, et c’est tout l’objet des critiques d’une partie des internautes comme des médias qui ont réagi à la démarche, des femmes issues de la diversité et du multiculturalisme français.
Pourquoi une liste exhaustivement composée de femmes issues de ces termes, déjà si gênants à employer, des « minorités », de la « diversité » constituerait-elle un problème ? Le lambda ou le non-initié aux engagements idéologiques et politiques de nombre de comités de l’UNEF, des procédés rhétoriques de leurs discours et pour les comités les plus clivants de leurs activités sur le terrain, ayant plus d’une fois attiré l’œil des médias et suscité la polémique, pourrait conclure qu’après tout, cela n’a jamais posé de problèmes à personne que pour des nombreux autres 8 mars, l’on rende hommage à des femmes dans leur immense majorité blanches, et qu’il ne serait en rien choquant que pour une fois, ce soient des femmes uniquement issues de ces diversités, qui seraient mises à l’honneur.
La guerre des antiracistes
D’un côté, une sphère historique, symbolique de la génération « Touche pas à mon pote » qui avait donné lieu à la création de SOS Racisme, qui militent depuis quarante ans pour un meilleur équilibre dans la représentation des personnalités culturelles, politiques, historiques, qui ont fait le rayonnement de la France en particulier, et du monde dans une autre mesure. Une sphère qui se bat pour qu’une Christine Taubira ou une Angela Davis soient considérées et célébrées de la même manière qu’une Marie Curie ou qu’une Simone Veil.

D’un autre, une sphère plus radicale, née de la lassitude des immigrés ou de leurs descendants de voir les premiers ne pas parvenir, par un universalisme qu’ils jugent inutiles, à obtenir des résultats concrets ou suffisants. Une mouvance décoloniale, critique du fameux « Touche pas à mon pote » qui constituerait à leurs yeux déjà, par l’emploi du « mon pote » un slogan non inclusif, qui ne donneraient pas directement la parole aux « minorités » mais à des personnes qui n’auraient pas à souffrir des discriminations raciales.
Cette mouvance, qui accoucha à la fin des années 2000 sur la création de mouvements dits « indigénistes » (à l’image des Indigènes de la République), mouvements qui pour favoriser leur inclusion, du moins une meilleure considération des « racisés » au sein de la société française, n’hésitent pas à appliquer l’adage « la faim justifie les moyens », par une philosophie et un activisme plus radicaux, afin d’imposer, puisque la France ne leur aurait pas accorder les mêmes choses que des citoyens « de souche », leur présence dans la société, et obtenir les mêmes droits que le reste de la population.
Des méthodes d’action plus radicales donc, et qui sont souvent matières à débat (tel que l’organisation d’événements exclusivement réservés à des personnes « non-blanches », ou qui tolère sinon leur présence du moment qu’elles ne s’expriment pas). Une mouvance souvent qualifiée d’extrémiste, et qui apparaît, aux yeux de leurs contradicteurs, comme contre-productif, ne provoquant que plus de divisions au sein d’une France déjà fragmentée, et qui en pousserait peu à peu les adeptes à se marginaliser de ceux qui n’adhèrent pas à leurs principes, au risque de créer une société dans la société.
Un énième coup de buzz ?
Il ne fait aucun doute que l’UNEF est aujourd’hui plus proche de la caste intellectuelle indigéniste que de l’antiracisme universel encore soutenu par la majorité des français, bien que nous assistions à une résurgence du racisme ces dernières années, ce qui explique ce pourquoi le choix d’établir une liste qui est présentée, qu’elle le soit ou non en réalité, sur Twitter par ceux qui l’ont rédigé, comme entièrement « racisée », soulève de nombreuses indignations, tout symptomatique qu’il est pour de nombreux individus d’un « racisme inversé » qui semblerait se développer de plus en plus au sein des milieux intellectuels, et particulièrement estudiantins, qui exclurait progressivement les personnes blanches pour accorder une place plus importante aux autres. Une intention qui peut paraître louable mais qui userait de concepts et de processus racistes que susciteraient une indignation unanime s’ils étaient perpétrés à l’encontre de personnes « racisées ». Encore une fois, c’est à un raisonnement de type « deux poids, deux mesures » qui semble émerger à l’analyse de tous les sujets qui font l’actualité ces dernières semaines.
Mais il conviendrait de ne pas laisser l’émotivité propre à la réaction, à la désapprobation prendre le pas sur la raison. Le tweet de l’UNEF, tel qu’il a été présenté, en ne citant volontairement que quelques exemples de noms, parmi lesquels une figure de proue de la philosophie décoloniale, Rokhaya Diallo, deux artistes très populaires, Beyonce et Aya Nakamura, auprès des jeunes qui présentent le moins d’intérêt pour tout ce qui sort du cadre de la « culture de masse », endoctrinés par les médias mainstream, et la sœur d’un jeune homme dont le décès survenu au cours d’un contrôle de gendarmerie fait toujours polémique et qui est engagée contre les dérives et les abus des corps dépositaires de l’autorité, n’est pas anodin.
Gageons que la liste de l’UNEF soit uniquement composée de personnes noires, il était bien plus bénéfique pour attirer l’attention des internautes sur leur initiative de nommer ces 4 personnes plutôt que d’autres figures culturelles noires moins connues susceptibles d’apparaître sur cette liste, comme Maboula Souhamoro mais encore l’actrice Aïssa Maïga, qui a beau avoir attirée les projecteurs par un plaidoyer engagé sur le manque de diversité dans le cinéma français (et qui restera quoi qu’on en pense dans les mémoires d’un certain nombre de personnes), il y a une semaine, ne jouit pas d’une reconnaissance aussi forte de la part du jeune public qu’Aya Nakamura.
Il y a bien évidemment une stratégie commerciale et tape à l’œil pour l’UNEF de Nanterre à avoir fait le choix de ne présenter que ces quatre personnalités, qu’on ne saurait leur reprocher à l’ère du buzz permanent.
L’instrumentalisation d’Aya Nakamura ?
Une cynique intention ?
Cette stratégie commerciale, qui a consisté à nommer Aya Nakamura, peut-être même à la choisir même parmi la liste de ces femmes influentes à laquelle l’UNEF de Nanterre veut rendre hommage, a porté ses fruits tout autant qu’elle a été critiquée, par la seconde moitié des détracteurs de l’initiative des étudiants de l’Union.
C’est d’ailleurs parce que ce choix a été remis en cause que le tweet de l’UNEF a pu faire le tour du web et être connu de millions de personnes en quelques heures. De là à ce que le choix de donner le nom d’Aya Nakamura à un amphithéâtre eut été savamment calculé, il n’y a qu’un pas. Ces mêmes cercles d’étudiants, qui aujourd’hui la mettent à l’honneur furent, et à plus d’une reprise, les premiers à clabauder à son égard, et à de multiples occasions.
Une indignation de la part des personnes noires du choix de l’UNEF
Tout le monde se souvient dans quels termes nombre de personnes noires, et parmi elles, une grande majorité d’étudiants, avaient réprimé l’attitude de la chanteuse à succès, qu’ils assimilaient à celle d’une « starlette » et qui selon eux ne donnait pas une image positive de la « communauté » noire (qui pour précision, n’a en France, aucune existence légale, la République ne reconnaissant qu’une seule communauté, le « peuple français »).
Des réprimandes renforcées par le fait qu’elle est, malgré les nombreuses remises en cause de son talent et l’objet des moqueries dont elle est la cible via les multiples dénonciations de la « simplicité » de ses textes, une des rares chanteuses noires françaises qui ont accédé à une tel niveau notoriété, et plus encore, la première artiste noire ayant fait carrière en France à vendre autant d’albums depuis Carole Fredericks dans les années 80 et 90, et qu’à ce titre, elle sait qu’elle est considérée par les jeunes générations comme un modèle.
Aya Nakamura a par le passé exprimé sa volonté de ne pas devenir une icône quelconque, ni le porte-voix de combats idéologiques. Et si cela n’avait, l’on s’en doute, pas plu du tout à nombre de personnes noires qui croient et défendent cette idée de « communauté », un véritable épiage contre la chanteuse avaient fleuri, notamment sur Twitter, de toutes ses déclarations, ses faits et gestes, avec à la clef de longs kaddishs à son encontre dès qu’un mot, qu’un comportement (comme lorsqu’elle n’avait pas pris le temps de saluer des personnes africaines dans un aéroport) semblait à leurs yeux déplacés.
Ainsi, l’on retrouve aujourd’hui parmi les nombreux commentaires faisant état d’une consternation à voir décerner à Aya Nakamura le titre de « femme influente », une indignation de la part de personnes noires à ce qu’elle soit choisie à défaut de personnalités politiques ou intellectuelles à l’image de Danièle Obono, Christine Taubira, Rama Yade ou des artistes comme Calixthe Beyala, Marie NDiyae, Fatou N’diaye, Fatou Diome.
La légitimité d’Aya Nakamura
Pour ce qu’il est du reste des réactions observées suite à ce tweet de l’UNEF de Nanterre concernant Aya Nakamura, contenant énormément de moqueries, pour les raisons évoquées ci-haut, si l’on est en droit de ne pas aimer ce qu’elle chante, de ne pas lui trouver de talent, la condescendance et le mépris qui transparurent dans maintes réactions ne sont pas très respectueuses pour la jeune femme, qui n’a jamais rien demandé à personne qu’on la prenne pour autre chose que ce qu’elle est : une chanteuse populaire, qui ne prétend ni être Molière, ni Nina Simone, une artiste qui n’est peut-être pas un puits de science, mais demeure une figure noire contemporaine française à l’influence indéniable ; si indéniable qu’elle se retrouve instrumentalisée dans cette histoire, et doit essuyer une nouvelle fois un nombre non-négligeable de remarques humiliantes.
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