L’édito du 5 Septembre 2019 sur la polémique ayant suivi les propos de Lilian Thuram au sujet de la « culture blanche ».
Il ne se passe plus une semaine en France sans qu’un procès en racisme et autres intolérances soit intenté à qui que ce soit. Après l’affaire Pena-Ruiz, c’est cette fois Lilian Thuram qui se retrouve sous le feu des projecteurs, suite à la parution d’une interview où le défenseur mythique des Bleus de 1994 à 2008 est revenu sur les cris de singes dont Romelu Lukaku, sous son maillot de l’Inter de Milan, a été victime par des supporters de Cagliari.
Thuram, Pena-Ruiz: escalades de polémiques inutiles
Lilian Thuram a dit une connerie. C’est indéniable. Il aurait mieux fait de se taire, et ce n’est pas la première fois. Néanmoins, qui parmi nous n’a jamais été pris un jour en défaut d’avoir eu des paroles intolérantes ou blessantes ?

De la même façon que j’ai défendu dans un édito de la semaine dernière Henri Pena-Ruiz, accusé lui d’islamophobie à l’issue des universités d’été de la France Insoumise, je vais prendre la défense de Thuram, qui n’a, dans les propos qu’il a tenu, pas eu d’intention stigmatisante envers quiconque. Et les médias comme les internautes de décontextualiser une nouvelle fois le cadre de son discours.
Les propos de Lilian Thuram
Quand on parle de racisme, il est nécessaire d’avoir conscience que le monde du foot n’est pas raciste mais qu’il y a du racisme dans la culture italienne, française et européenne et plus généralement dans la culture blanche. Les Blancs ont décidé qu’ils étaient supérieurs aux Noirs qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient avec eux. […] Il est nécessaire d’avoir le courage de dire que les blancs pensent être supérieurs et qu’ils croient l’être. De toutes les manières, ce sont eux qui doivent trouver une solution à leur problème. Les noirs ne traiteront jamais les blancs de cette façon, et pour n’importe quelle raison. L’histoire le dit.
Lilian Thuram
Ciel, que d’obscénités ! L’Heures des Pros, qui a le courage d’aborder tous les sujets qui font l’actu sans langue de bois, a relevé ce jeudi matin les paroles de Thuram, que personne n’avait encore pris la peine de considérer, tout en s’interrogeant sur leur possible caractère essentialiste, en parlant de « Blancs » comme si ces derniers lui apparaissaient de façon homogène, indifférenciée. Sur le plateau, Robert Ménard, le maire de Béziers, connu pour sa proximité idéologique d’avec le Rassemblent National, a souligné le ridicule de l’argumentaire de Lilian Thuram, tout en posant la question, rhétorique cela va sans dire, de ce qui se serait passé si un « blanc » avait osé prononcer en 2019 en France une phrase de cet acabit en parlant d’une « culture noire ».
Evidemment, la réponse à cette question serait « un scandale sans nom » et nous le savons tous. Les mots de Thuram sont bêtes. Parler d’une « culture blanche », en prenant comme exemple les sociétés européennes, aux cultures si diverses à tous les niveaux, littéraire, architectural, folklorique, traditionnaliste, gastronomique même, relève d’un non-sens absolu, tout comme induire qu’il y aurait un peuple « Blanc » lorsque, malgré la réémergence de la question identitaire et le regain d’intérêt pour les courants nationalistes, la majorité des européens condamnent le racisme, justement parce qu’ils sont le fruit de brassages culturels et ethniques. La lutte contre les discriminations est certes longue, mais elle paye un peu plus chaque jour, et quand bien-même elle irait plus vite, on ne pourrait se satisfaire qu’il faille toujours la mener. De la même façon, procéder à une généralisation d’un supposé « sentiment de supériorité » des « blancs » est un piège dans lequel Thuram est tombé.
Ce n’est pas la première personne issue d’une « minorité », fusse-t-elle ethnique, sexuelle, et j’en passe, à s’être engluée dans les égouts nauséabonds des théories essentialistes martelées avec obsession par les plus farouches militants de l’antiracisme 2.0, qui ont perdu tout sens de la nuance et ne conçoivent le monde plus qu’en un système où ceux qui le composent, pour peu qu’ils soient « blancs », n’auraient de libre arbitre ni de capacités suffisants pour parvenir à réfléchir de manière rationnelle et ainsi concevoir qu’avec le plus grand des dégoûts les horreurs qui furent perpétrées au cours des siècles via l’esclavage ou la colonisation. Ces obsédés de la race – ils préciseront n’employer le mot tabou que pour désigner par un terme global une « catégorie de la population », s’affranchissant de la sorte, et d’avance, de toute accusation possible de racisme ou de racialisme (qu’en est-il vraiment, cela dépend, au cas pour cas, de ces personnages médiatiques au lyrisme exacerbé…) – persuadés de détenir une vérité universelle avec ces théories psycho-sociologiques, qui en plus de n’avoir jamais été prouvées, relèvent d’un procédé de rhétorique malhonnête, consistant à enfermer d’emblée le débat dans la psychiatrisation du « blanc supérieur », « inconscient de son racisme » pour pallier à tout argument contradictoire et accuser à loisir le dit dominant de xénophobie, sans se donner la peine de prouver l’affirmation, qu’à une réalité scientifique.
La posture de défense du défenseur
Alors, oui, la pensée de Thuram, totalement décontextualisée des sifflements racistes et humiliants à l’encontre de Lukaku, comparé à un primate, est inadmissible. Quand elle est remise dans son contexte, comme l’a fait Thuram en fin de journée dans une déclaration (où il a également, mais sans trop de succès, tenté de se défendre de sa généralisation initiale, en la niant et la réduisant au monde de foot, néanmoins ce ne sont pas ce que disent ses premiers mots…), elle est déjà condamnable, bien que toujours dérangeante. Et oui, si un « blanc » venait à se commettre dans une sortie aussi vide de sens, l’on réclamerait sa lapidation en place publique. Mais de là à conclure que Lilian Thuram est raciste, il n’y a pas qu’un pas, et il serait impertinent de les franchir. Thuram n’a fait que laisser son ressentiment, sa blessure l’emporter sur sa réflexion et s’est enfermé dans une posture défensive erronée. Mais c’est humain.
Toutefois, tout ceci, au lieu de chercher à le discréditer, devrait plutôt nous alarmes sur la puissance de ces postures de réaction, qui, en donnant au discriminé à répondre l’intolérance par une autre intolérance, du même niveau, peuvent conduire à une surenchère, où l’orgueil prend vite le dessus sur toute raisonnabilité, et mener les peuples ou les « communautés » à se détester entre elles, jusqu’au conflit meurtrier (les trois guerres qui opposèrent la France et l’Allemagne entre 1870 et 1945 en sont des illustrations parfaites). Lilian Thuram nous monte, malgré lui, que le racisme antiblanc, s’il fallait encore le prouver, existe bel et bien en France, que ce soit à cause d’une minorité d’arriérés haineux des personnes « blanches » comme il existe des « blancs » haineux des « noirs », ou conséquemment à un emmagasinage de la part du « minoritaire » d’un sentiment de rejet si puissant qu’il finit par s’opposer à « l’autre » au sens large, à celui qui ressemble le plus à ses bourreaux.
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