Le Dossier du Sup’ – Dégel du permafrost: vers la Guerre Froide de l’Arctique

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Le Dossier du Supplément Enragé du 25 janvier 2020 consacrée au phénomène du dégel du permafrost en Arctique et des intérêts géopolitiques qui lui sont inhérents.

par Alizée Studzinski

Entre pandémies, migrations, rivalités commerciales & géopolitique

L’Arctique est aujourd’hui un territoire qui suscite l’intérêt. Initialement une zone paraissant peu stratégique, l’Arctique fait aujourd’hui l’objet de nombreuses convoitises, et ce en grande partie à cause du dégel du permafrost.

Le rapport du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2019 s’est intéressé aux changements climatiques liés à l’océan et à la cryosphère. La cryosphère désigne l’ensemble des composantes gelées de la Terre, comprenant donc les glaciers, les calottes glaciaires, ainsi que le pergélisol (ou permafrost en anglais). Le permafrost, phénomène géologique, désigne tout sol qui reste en dessous de 0 degré a minima pendant deux ans. Il couvre environ 20% de la surface terrestre. Le permafrost, en profondeur, reste gelé toute l’année. La couche active du permafrost est, elle, une couche de terre qui gèle et dégèle selon les saisons permet à la végétation de se renouveler, ce qui favorise le développement de la biodiversité et des écosystèmes. Mais le réchauffement climatique a un sérieux impact sur cette zone active. En effet, les scientifiques montrent que cette couche active augmente de manière exponentielle, ce qui a un impact certain sur la stabilité des sols.

En quoi un dégel du permafrost serait-il si problématique pour l’Arctique ?

Le problème du dégel du permafrost est récent et peu étudié. Dans un premier temps, le dégel du permafrost aurait des conséquences climatiques majeures, le permafrost jouant pourtant un rôle majeur dans la régulation du cycle global de carbone. Néanmoins, on ne connait pas avec précision la quantité de carbone retenue dans les sols car le permafrost s’est formé dans les périodes glaciaires et couvre 24% de la surface de l’hémisphère Nord. Même si nous ne connaissons pas ces données, on comprend tout de même que ce dégel serait extrêmement problématique car il libérerait massivement du gaz à effet de serre qui accélèrerait le réchauffement climatique. D’autant plus que cette libération de carbone serait difficilement régulable. Pour autant, le permafrost ne renferme pas uniquement du carbone. On y trouve aussi du méthane, et du mercure en quantité importante. En 2017, les scientifiques du National Snow and Ice Data Center (NSIDC) ont étudié l’impact des bulles de méthane situées dans le permafrost en Sibérie. Avec le dégel, ces bulles explosent et peuvent laisser des cratères de plusieurs dizaines de mètres de profondeur. En 2018, on recense près de 7 000 bulles en capacité d’exploser et de relâcher ainsi leurs gaz à effet de serre. Les rejets de mercure sont, eux aussi, une crainte pour la santé des populations de l’Arctique. Y être exposé, même s’il s’agit de petite quantité, est un danger pour le développement des nourrissons ou des fœtus. Le mercure peut aussi avoir des effets toxiques sur les systèmes nerveux, digestif et immunitaire, les poumons, les reins, la peau et les yeux. Le risque est à prendre d’autant plus au sérieux qu’une étude de 2018 a démontré que les régions de permafrost possèdent davantage de mercure que le reste des sols, de l’atmosphère et de l’océan réunis. Finalement, la fonte du permafrost entraîne un effet « boule de neige » qui amplifie le réchauffement climatique car plus on émet de gaz à effet de serre, plus la planète est chaude, plus le permafrost fond, et plus il émet de gaz à effet de serre.

Le Centre National pour la Recherche Atmosphérique (NCAR) a mis en relief que plus de 50% des territoires recouverts de cette couche supérieure de permafrost pourraient fondre d’ici 2050. Ce pourcentage risque d’atteindre 90% d’ici 2100. L’urgence climatique que représente la fonte du permafrost est à prendre très au sérieux. Cependant, d’autres conséquences sont à noter. La première est d’ordre sanitaire. En 2014, l’équipe de scientifiques de Chantal Abergel et Jean-Michel Claverie, du laboratoire Information Génomique et Structural du CNRS et de l’université Aix-Marseille, avait réussi à réactiver deux virus vieux de 30 000 ans au Nord de la Russie. En 2015, ces scientifiques ont découvert quatre types de virus tenus dans le permafrost sibérien, à l’instar du Mollivirus sibericum. Ainsi, si de tels virus enfermés aussi longtemps (parfois des millénaires) sortent à cause du dégel du permafrost, de nombreuses pandémies sont à craindre. Une inquiétude plus réelle encore à la vue du retour de certaines maladies mortelles qu’affronte la région, comme cela a été le cas en 2016, dans la péninsule de Yamal, à 2500 kilomètres de Moscou. Cette péninsule a été confrontée au retour de l’anthrax (ou maladie du charbon), pourtant disparue depuis 1941 dans la zone. La cause de son retour est directement liée à la fonte du permafrost qui a libéré de la glace un renne porteur de l’anthrax. De nombreuses personnes ont été contaminées, un jeune garçon de douze ans en est décédé, et plusieurs milliers de rennes sont morts de l’anthrax ou ont été abattus par sécurité. Tous les virus enfermés dans la glace ne sont pas forcément dangereux pour l’Homme. Mais, selon le professeur Jean-Michel Claverie, le risque sanitaire le plus inquiétant relatif à la fonte du permafrost se situe dans les couches les plus profondes du permafrost, parfois vieilles de plusieurs millions d’années, qui renferment probablement des pathologies inconnues.

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Chantal Abergel et Jean-Michel Claverie (source: LookatSciences, photographe: Gabrielle Voinot)

Le dégel du permafrost fait aussi craindre pour l’avenir des populations de la zone Arctique. En effet, la fonte du permafrost fragilise les sols, et fait donc courir un risque pour l’ensemble des infrastructures existantes. Le GIEC, dans son rapport de 2019 a révélé qu’environ 70% des infrastructures telles que les installations résidentielles, industrielles et de transport pourraient se situer dans des zones où le permafrost devrait dégeler d’ici 2050, en s’appuyant sur un scénario prévoyant une stabilisation des émissions d’ici 2100 à un niveau faible. Il y a donc, pour les pays arctiques, une véritable nécessité de s’adapter au dégel du permafrost et donc de mettre en œuvre des solutions en termes d’aménagement du territoire. Les populations de l’Arctique seront impactées dans leur mobilité (axes de transport, grands axes routiers). La communication et le ravitaillement des villages seront également touchés. De telles conséquences contraindront beaucoup à migrer. La disparition du permafrost a pour conséquence de faire monter les eaux des océans, et donc faire disparaitre les Etats insulaires et villes littorales. Par conséquent, à cause du risque élevé d’érosion des sols dû à la fonte du permafrost, ces populations côtières sont vulnérables. L’espace habitable se réduisant d’année en année, les habitants rentrent à l’intérieur des terres. Mais dans des villages dans lesquels l’espace est déjà limité, les communautés seront certainement contraintes de s’éloigner. Même des villages qui auraient l’idée de se construire sur pilotis seraient vulnérables car la couche active s’agrandit à cause du réchauffement des sols, fragilisant une fois de plus la bonne tenue des habitations.

La fonte du permafrost laisse place à des incertitudes sur le plan socio-économique, sanitaire, et climatique. Pour autant, le plan sécuritaire n’est pas à négliger car le dégel du permafrost peut exacerber des conflits de souveraineté déjà existants, mais également, créer de nouveaux théâtres de conflits.

Le dégel du permafrost : vecteur de nouvelles conflictualités ? 

Plusieurs contentieux ont été recensés dans la zone, étant donné la complexité du régime juridique de l’Arctique. L’un concerne les passages du Nord-Ouest et du Nord-Est, sur lesquels le Canada et la Russie s’estiment souverains en se basant sur leurs propres législations. Et dans un second temps, un contentieux a existé sur l’extension éventuelle des plateaux continentaux des États riverains vers le pôle.

A ceci, la fonte de glaces, et notamment du permafrost, font de l’Arctique une terre convoitée. En effet, le dégel des glaces dans la zone Arctique laisse entrevoir différentes opportunités à la fois commerciales et maritimes car la fonte va permettre la création de nouveaux passages jusqu’alors inexistants. Mais, le dégel qui s’opère aujourd’hui dans la région risque également de faire naitre quelques revendications territoriales.

La fonte des glaces dans la région laisse entrevoir l’opportunité de rejoindre les océans Pacifique et Atlantique en passant par le pôle, ouvrant ainsi l’Arctique au reste du monde. Cette zone peut donc à terme devenir une zone de conflictualité majeure. La Russie, la Chine ou encore les Etats-Unis concourent pour espérer bénéficier de ces nouveaux axes maritimes pour le transport, et s’y établir sur le plan stratégique dans les domaines militaire et énergétique.

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La « Guerre Froide » de l’Arctique (Source: L’écho)

Des pays comme la Russie, cherchent à assoir leur puissance dans la région. D’où certaines revendications territoriales par l’intérêt stratégique que revêt l’océan glacial Arctique. La banquise constitue un écran total à la signature acoustique, thermique et électromagnétique, offrant alors des conditions idéales pour le déploiement de sous-marins. C’est pourquoi la Russie revendique une extension de sa ZEE de 1,2 million de km2 auprès de la Commission des limites du plateau continental. La Russie, ayant pourtant démilitarisé le Grand Nord, cherche aujourd’hui à redynamiser sa Défense en Arctique et pour cela, réactive ses bases de sous-marins nucléaires du temps de la guerre froide. Qui plus est, la puissance russe cherche à installer un centre de commandement militaire pour la région. Mais la Russie n’est pas seule dans sa quête de puissance en Arctique car la Chine dispose d’une base permanente en Norvège, sur l’archipel du Svalbard. Rappelons que cet archipel fait déjà l’objet de vives tensions entre la Russie et la Norvège, conflit aux origines historiques profondes mais portant également sur les différences d’interprétation juridique issues du Traité de Svalbard signé dans le cadre de la conférence de paix de Paris le 9 février 1920. Et la Chine n’est pas en reste dans la région car, en tant que membre observateur au Conseil arctique depuis 2013, elle entend bien jouer ses cartes dans la région. Dans une démarche commerciale liée à son projet des nouvelles routes de la soie, la Chine convoite les routes du Grand Nord pour le transit de ses marchandises. Mais elle entend également devenir une puissance polaire en s’intéressant aux ressources stratégiques. Par exemple, la Chine gère déjà six projets miniers au Groenland. Et, en tant que puissance planétaire incontestable sur le plan des terres rares, elle s’est associée à l’Australie pour un grand projet d’extraction d’uranium et de terres rares dont le Groenland détiendrait les deuxièmes réserves mondiales.

En définitive, le dégel du permafrost fragilise l’avenir de l’Arctique et notamment de ses populations, qui à terme, seront certainement contraintes de migrer massivement. Le lien entre réchauffement climatique et dégel du permafrost se traduit par un effet boule de neige. Pour lutter contre les problématiques sociales, économiques, sanitaires et environnementales, le point d’orgue doit être mis sur des mesures de prévention des effets du dégel du permafrost, et sur des mesures d’adaptation afin de minimiser au mieux ses effets.

Le dégel du permafrost ouvre de nouvelles opportunités, notamment économiques, car la zone Arctique, auparavant isolée et reculée, s’ouvre progressivement au reste du monde. Mais de telles opportunités sont aussi synonymes de nouvelles tensions car les grandes puissances prennent conscience du potentiel stratégique que revêt l’Arctique. La question qui reste en suspens est de savoir si ces tensions se règleront par la voie du compromis ou de la belligérance.

Sources
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