Retour sur le passage de la mère de Yuriy, adolescent de 15 ans ayant été victime d’une terrible agression le 15 janvier dernier, et de la situation quant aux phénomènes de bandes.
par Live A. Jéjé
#LaRacailleTue est un mauvais slogan: les agresseurs ne méritent pas le titre de « racailles », mais celui de barbares…
[NDLR : Le fait que les avancées de l’enquête semblent indiquer que l’agression subie a été motivée afin d’en venger une autre, dans un contexte de guerre de bandes, et les révélations soupçonnant la mère de Yuriy d’être impliquée dans une affaire de traite d’êtres humains, s’ils nous éclairent forcément d’un nouveau point de vue quant au regard porté sur les faits dramatiques qui se sont déroulés le 15 janvier dernier, ne changent rien au fond de l’article, notamment en ce qui concerne les suites à donner à l’acte subi par Yuriy, les questionnements qui peuvent être émis quant à la situation actuelle face aux rixes et les réponses pénales qui pourraient punir aux agresseurs].
Comme le champagne, le foie gras, le trait de caractère râleur ou la rébellion, l’une des spécificités du peuple français est sa propension à se choquer lorsque des actes d’une violence inouïe sont commis sur son sol. Ce fut le cas il y a deux mois lors de la diffusion des images de l’arrestation raciste, à la haine toujours incompréhensible, du producteur Michel Zekler par des policiers qui l’ont molesté et insulté de « sale nègre », ça l’est depuis qu’a fuité un extrait du lynchage subi par Yuriy, jeune homme originaire d’Ukraine, 15 ans (14 au moment des faits) le 15 janvier dernier, sur l’esplanade de Beaugrenelle dans le XVe arrondissement parisien, extrait issu d’une vidéo insoutenable de caméra-surveillance nous présentant un groupe d’une dizaine de jeunes s’acharnant sur l’adolescent à coups de pied, de poings, de béquilles, de marteau et possiblement de barres de fer. Une vidéo pourtant confisquée par les forces de l’ordre pour enquêter et qui, du fait qu’elle a fuité, a poussé l’IGPN à ouvrir une enquête pour déterminer si un policier n’aurait pas mis à profit les médias, voire leur aurait vendu une copie de ces images.

Le témoignage de la mère de Yuriy
En début de semaine, la mère de Yuriy a choisi le plateau de Cyril Hanouna pour s’exprimer, avec son compagnon, et témoigner de l’état actuel de son fils et de ce qu’elle sait (et a le droit de dire) quant au déroulement de l’enquête. Au cours de cette séquence particulièrement émouvante, elle a raconté comment elle avait été prévenue du sort réservé à Yuriy, et à la possibilité qu’elle a eu de lui parler, provoquant la stupeur des sauveteurs sur place, étonnés que celui-ci, fracturé à divers endroits du corps, notamment au crâne, où il présentait diverses ouvertures hémorragiques, ses yeux sortis de leurs orbites sous la multiplication des coups, parvenait encore à parler. Si l’hôpital l’a immédiatement pris en charge, l’opérant et le plongeant, afin qu’il ne souffre, dans un coma artificiel, son pronostic vital restant engagé, la mère de 3 enfants s’est montrée rassurante : les médecins ont profité des améliorations de son état global à son réveil pour le renvoyer au bloc afin de subir une autre opération (auriculaire) dont les risques de séquelles ne cessaient de croître plus on attendait de prendre le malade en charge. Néanmoins, Yuriy n’est pas tiré d’affaires et va mettre beaucoup de temps pour récupérer, sans qu’il soit tout à fait possible de savoir quelles en seront les séquelles [NDLR : que nous espérons inexistantes ou les moins importantes possibles].

La piste de l’expédition punitive: Yuriy faisait-il partie d’une bande ?
Alors que la piste privilégiée par les enquêteurs déboucherait sur un règlement de compte entre un « gang » de Vanves et celui des « RD4 », ces derniers ayant plusieurs jours avant le massacre de Yuriy, agressés un jeune de Vanves, et qu’il se murmure que ceux qui s’en sont pris au collégien le 15 janvier l’auraient fait parce qu’il appartiendrait aux « RD4 » ou l’auraient cru, aux vues de sa présence régulière sur la dalle de Beaugrenelle, où il a été par le passé plusieurs fois contrôlé par les forces de l’ordre (en règle), sa mère a tenu un discours clair et nuancé sur le plateau de Touche pas à mon poste. Elle assure vouloir que son fils soit puni à la hauteur de sa culpabilité s’il a quelque chose à voir avec l’agression du jeune de Vanves, mais, malgré la haine que maints parents auraient pu ressentir face au cauchemar traversé par la famille depuis le 15 janvier, elle a souhaité faire passer un message de paix, assurant sa confiance aux enquêteurs et appelant aux jeunes à réfléchir, pour que de tels actes n’aient plus lieu en France, pays qu’elle estime énormément.
Un nombre considérable de réactions n’ont guère tardé pour condamner le guet-à-pent ignoble dans lequel est tombé Yuriy. De simples anonymes aux personnalités politiques ou du spectacle (Antoine Griezmann, Omar Sy), une telle concentration de sauvagerie en une séquence si courte a provoqué la consternation. La guerre sémantique des hashtag n’a pas tardé à envenimer la toile, pour servir de discours idéologiques : ainsi, à l’extrême-droite comme au sein des courants de droite conservateurs, et leurs votants / militants / supporters, #LaRacailleTue a demandé au gouvernement de faire preuve de moins de laxisme face à cet énième règlement de compte, qui ne serait pas un fait isolé. Les autres se sont contentés d’un plus sobre #Yuriy ou #JeSuisYuriy pour exprimer leur solidarité. Un montage photo a particulièrement été remarqué, partagé en masse sur les réseaux sociaux. L’on y voit une capture d’écran de la vidéo ayant capté la scène avec une légende présentant les agresseurs comme des « criminels ». Son beau-père a d’ailleurs fait état de l’étonnement de la victime en apprenant que des personnalités aussi illustres aient pris le temps de lui consacrer un tweet.
Pas d’incidents à déplorer donc, si ce n’est le déplorable conflit ayant opposé l’avocate et chroniqueuse télévisée, ancienne cadre de la France Insoumise et concubine d’Alexis Corbière, l’une des figures de proue du parti, Rachel Garrido et des internautes lorsque celle-ci, en réponse à un tweet, s’est commise à ressortir sa rengaine habituelle, qui ne manque pas de justesse mais considérée comme malvenue à ce moment précis par de nombreux utilisateurs, quant au fait que la délinquance concerne aussi les évadés fiscaux, les cols-blancs. Une erreur dialectique quand l’on sait que les neuf individus interpellés ce matin, s’ils sont poursuivis, seront accusés non pas de délinquance mais d’avoir participé à un véritable crime.
Délinquance des jeunes: les chiffres et la loi
Si le fait divers dont il est ici question pourrait laisser penser qu’il serait bien là la preuve du discours raisonnable du ministre, il est capital de mettre en perspective deux indicateurs : les statistiques officielles et le degré de violence qui caractérise les affrontements de bandes.
Des chiffres contrastés…
La délinquance de mineurs, quand on se risque à employer les statistiques, est toujours un sujet épineux. Dans son ensemble, elle augmente, non pas de manière exponentielle, mais, comme il est d’usage de le dire en politique lorsque des personnalités, comme Emmanuel Macron lors des mois précédent les élections présidentielles de 2017 a augmenté progressivement dans les sondages, jusqu’à prendre 10 points, émergent sans que l’on ne se rende compte qu’il n’est pas là l’affaire d’une simple bulle qui finira par exploser, mais d’une remontada discrète, par la stratégie du « mine de rien ». Tel que le source Le Figaro, 164 000 mineurs avaient fait l’objet d’une réponse pénale en 2017. Les données 2019 fournies par le Ministère de la Justice fait état d’une légère baisse, portant ce chiffre à 159 000. Une délinquance qui a néanmoins doublé par rapport aux années 90, pourtant considérées comme de tristes références sur le sujet.
Pour ce qui relève des rixes, une baisse significative a été enregistrée entre 2016 et 2020, de 47,7 %, selon 20 minutes. Qui plus est, le nombre même de bandes de jeunes sévissant quotidiennement dans la capitale apparaît plutôt dérisoire. Une quinzaine tout au plus, parfaitement identifiées, a indiqué la porte-parole de la Préfecture de police de Paris, Laëtitia Vallar au même journal. Toutefois, ce faible taux est à relativiser, car les réseaux sociaux, racines de bien des maux qui se règlent lors de rixes entre bandes de quartiers rivaux, amènent la fondation de bandes plus nombreuses, à l’existence temporaire, le temps de régler leurs comptes avec un autre attroupement d’ennemis d’un jour. Il devient ainsi difficile, en tenant compte de l’existence de bandes aux origines virtuelles et qui cessent vite d’exister, de sonder précisément le nombre de jeunes impliqués dans des règlements de compte de cette nature.
Il est fait état que 187 jeunes ont été arrêté dans la capitale en 2020 pour des faits de rixe. Le nombre tend à confirmer le nombre de bandes avancé par la porte-parole Vallar, tournant autour d’une quinzaine. La réelle inquiétude se situe au niveau de l’âge des interpellés. Plus de 67 % n’ont pas 18 ans, quand en 2015, les interpellés étaient en majorité adultes. Les phénomènes de bande sont donc en profonde mutation, et bien que les statistiques montrent qu’elles ont tendance à décroître, l’âge des protagonistes diminue de plus en plus, faisant in extenso des victimes plus jeunes. Une dizaine de jeunes auraient succombé à leurs blessures dans des affaires relevant desdites rixes. L’une des dernières d’entre elles, début 2020 n’avait que 14 ans, l’âge de Yuriy au 15 janvier. Cette tendance à la juvénilité se retrouve également sur l’ensemble de la délinquance des mineurs : sur les 164 000 réponses pénales de 2017, 40 % concernaient des 13-15 ans.
Si les statistiques relatives à la délinquance juvénile, et plus particulièrement, aux affrontements entre bandes de jeunes sont donc légèrement en baisse, mais se manifestent de plus en plus tôt, la réalité est bien plus inquiétante sur la violence exercée par ces mis en cause.
…pour des violences exacerbées
Une manipulation est souvent opérée par ceux qui récitent les statistiques de plateaux en plateaux, soit pour défendre les politiques des gouvernements qu’ils soutiennent, soit par déni, pour que ne s’intègre une vérité qui mettrait à mal leurs idéologies. Les jeunes délinquants sont de plus en plus violents, et ce n’est plus la morale qui les étouffe.
De nombreux experts ou policiers font part d’une tendance inquiétante, qui est manifeste dans le cas de l’agression de Yuriy : la volonté de mettre à terre et dominer son ennemi ne suffit plus. La violence continue de s’exercer quand l’adversaire est déjà battu. Il n’est pas anodin de retrouver, dans les discours de deux professionnels, de deux syndicats différents, l’emploi des mêmes termes, la même semaine. L’analyse de Rocco Contento, secrétaire régional adjoint de Paris Unité SGP Police a évoqué la disparition progressive des « codes d’honneur » :
On est plus dans le phénomène des années 60-70, lorsque la personne était à terre, le combat s’arrêtait. Il y avait un certain code d’honneur qui n’existe plus aujourd’hui. Aujourd’hui, l’objectif c’est de faire le plus mal possible et le cas échant de tuer la personne. (Source: Le Figaro)
C’est sans appel que David Le Bars, du Syndicat des commissaires de police a crédité cette déclaration :
Il y a 25 ans, il y avait encore quelques codes. On n’allait pas jusqu’à un phénomène de lynchage comme celui-là, à 10 contre 1, avec des objets contendants pour tuer. (Source: Le Figaro)
Ce déchaînement de coups et blessures est général à la délinquance des mineurs. 75 % des délits commis par des personnes mineures dans les années 70 concernaient des vols de voiture. Ils sont de nos jours passés sous la barre des 40 %. Par quoi, puisque la délinquance juvénile a doublé en vingt ans, a-t-elle été remplacée ? Les coups et blessures volontaires. Les chiffres de 2018 et 2019 font état d’une augmentation de 8% par an. 16 % en 2 ans. Des chiffres qui, comparés, comme le rappelle Le Figaro, aux travaux du criminologue Sébastien Roché, sont plus qu’inquiétants, puisque ces derniers se fondent sur l’hypothèse que les délits commis par les mineurs sont majoritairement suivis, quand il y a récidive, de délits dont le degré de gravité s’accroît.
La radicalité progressive de cette violence s’illustre par le choix des assaillants de se munir d’armes (ou d’objets qu’ils dévoient comme telles) susceptibles de causer des séquelles irrémédiables, si ce n’est la mort, à leurs victimes. Yuriy a ainsi eu le droit à des coups de marteaux sur le crâne, des coups de béquille, possiblement de barres de fer, qui auraient été retrouvées non loin de la scène du crime.
Quelles suites judiciaires ?
Les neufs présumés agresseurs placés en garde à vue ce jeudi sont accusés de « tentative d’assassinat » (volontaire, cela va sans dire), « association de malfaiteurs dans le but de commettre un crime » et « vol en réunion avec violences ».
Que fera la justice de ces barbares,le terme « racaille » si péjoratif est-il, ne correspondant pas à l’atrocité de leurs forfaits ? Il est difficile, de par leur âge (à l’exception de l’agresseur majeur qui risque plus que ses complices), de pouvoir le dire, d’autant plus si l’enquête finit par déboucher sur une preuve de l’appartenance de Yuriy au gang « RD4 », appartenance dont les avocats de la défense se serviront pour influer sur la sentence qui pourrait être prononcée.
Sources
- Pierre-Marie Sève: « Tabassage de Yuriy: « Les jeunes auteurs d’agressions sont plus nombreux, plus jeunes et plus violents« , Le Figaro (25/01/2021)
- Caroline Politi: « Agression de Yuriy : Quelle réalité derrière les phénomènes de bandes ?« , 20 minutes (26/01/2021)
- « Justice des mineurs: Données 2019« , Ministère de la Justice
- « Touche pas à mon Poste » – Part 2 (26/01/2021)
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