Comment Zemmour n’a fait qu’une bouchée de Yassine Belattar
Nombre d’animateurs auraient donné cher pour organiser un débat avec une telle affiche : Yassine Belattar vs Eric Zemmour. Deux français d’origine si proches et aux opinions pourtant si différentes. La défense d’un Islam intégré dans la République contre la dénonciation de l’Islamisation d’une France en perte d’histoire.
Belattar, l’artiste engagé
Les plateaux télés se l’arrachent depuis deux ans. Il aura suffi d’un soutien exprimé à Emmanuel Macron (tel qu’il soutint François Hollande auparavant et Ségolène Royal jadis) pour que Yassine Bellatar, jusqu’ici humoriste, plutôt talentueux, à la renommée tout de même confidentielle ; certains téléspectateurs, plutôt rares, se souviennent peut-être de lui pour le late-show qu’il anima sur France 4, il y a une dizaine d’années ; devienne du jour au lendemain un chouchou des médias. Parce qu’il est l’un des rares comiques contemporains, parmi le collège surpeuplé de ses comparses, souvent interchangeables, souvent abonnés au même humour, à cette même soupe tiède de blagues sans saveurs, de sketchs désincarnés, dénués de la moindre conviction, à assumer les siennes, et à s’être engagé sans renier d’où il vient. Belattar est l’un des seuls héritiers de ces humoristes des années 80, ces Coluche, Bedos et autres Desproges ou Le Luron qui n’avaient jamais peur d’un peu de controverse et d’engagement. Parce qu’il est musulman et « fier de l’être » (l’on peut d’ailleurs se demander quelle fierté peut-on tirer de quelque chose qui nous n’avons pas choisi, à l’instar d’une religion) parce qu’il parvient à soutenir le président de la République et à être ami de Rokhaya Diallo dans le même temps. Parce qu’il est l’un de ces modèles de réussite que les journalistes citent sans cesse, à l’instar d’un Jamel Debbouze, pour rappeler, en se donnant bonne conscience, que l’on peut aussi réussir quand on a grandi en banlieue.
Qui plus est, il ne manque pas de répartie. Et c’est cette dernière qui lui permet de ridiculiser nombre de ses interlocuteurs. Puisqu’il est humoriste, et dans le sens du vent, on lui pardonne aisément la malhonnêteté intellectuelle avec laquelle il répond à ses contradicteurs, en refusant de s’accorder sur le registre du discours idéologique pour distribuer des punchlines à effets de style, appuyant le ridicule d’un paradoxe qu’il pense déceler au sein d’un raisonnement ; sans comprendre qu’un raisonnement ne souffrant d’aucun paradoxe, d’aucune contradiction ne saurait être pertinent. Si l’on ne peut nier qu’il y a un argumentaire chez Belattar, il laisse vite place à un mépris « comique », caractéristique de sa génération de trentenaires, celle incarnée par l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron le soir du débat de l’entre-deux-tours l’ayant opposé à Marine Le Pen, lorsque cette dernière tentait de se sortir de la mélasse dans laquelle elle s’était enlisée en montrant sa méconnaissance totale des notions économiques.
Un débat dangereux
Seulement voilà, lorsque l’on accepte de débattre avec Eric Zemmour, il convient d’y réfléchir à deux fois. Yassine Belattar a-t-il véritablement cru qu’il lui aurait ici juste fallu répéter les mêmes saillies rigolardes pour prendre l’avantage sur son adversaire ? Les rhétoriques de ridiculisation de la pensée contradictoire n’ont jamais eu d’effets sur le bulldozer de la droite identitaire. Tous ceux qui ont essayé de tourner Zemmour au ridicule se sont cassés les dents. D’autres, à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession tant on éprouve de la sympathie pour l’homme, comme Omar Sy, ont attaqué l’éditorialiste sans la moindre trace d’humour, sans plus de succès. La raison est simple. L’auteur du « Suicide » puis du « Destin français » n’a pas la moindre considération pour l’image qu’il renvoie. Il dira ce qui lui semble pertinent d’être, peu importe l’impact négatif que cela pourrait lui coûter.
Et force est de constater que Belattar, malgré un certain courage et quelques arguments intéressants, n’avait ni la connaissance ni le discours suffisamment structuré, ce matin-là du moins, pour débattre avec Zemmour.
Un débat incompréhensible
La raison même de l’organisation de ce débat relevait d’une contradiction que Yassine Belattar n’a pas réussi à justifier, bien qu’à quatre reprises durant l’heure de dialogue de sourds que nous avons pu suivre sur CNEWS, il a annoncé qu’il allait expliquer les raisons de sa présence, sans jamais le faire. Pour rappel, Pascal Praud, l’animateur phare de la chaîne, avait eu l’idée d’organiser cette contradiction suite au refus de Yassine Belattar de cautionner l’invitation d’Eric Zemmour sur LCI il y a quelques temps.
Belattar a donné le ton d’emblée. Il venait débattre avec Zemmour pour la dernière fois, et a insisté sur le fait qu’il songeait sérieusement à se retirer du débat public en général. On reste sceptique face à une telle affirmation, mais laissons à l’humoriste le bénéfice du doute. Peut-être ne le reverra-t-on plus prendre position face à des contradicteurs ?…
Pourquoi Belattar a-t-il accepté l’invitation de Pascal Praud, sinon pour sous-entendre, toutes les cinq minutes, que ce dernier cautionnait, sans la moindre honte, de recevoir des éditorialistes dénonçant un peu trop souvent au goût de l’artiste l’Islam et les musulmans ? C’est en tout cas l’impression que l’on a à la réécoute de l’affrontement télévisuel.
Un argumentaire niveau zéro
Que vous le vouliez ou non, vous avez une tête d’arabe.
Yassine Belattar à Eric Zermmour, CNEWS
Si Belattar a dans un premier temps réussi à mettre Zemmour dans une position délicate à plusieurs reprises, du fait du ton particulièrement virulent qu’il a donné au débat dès son introduction, et en démontant l’argument premier de l’auteur qui l’accusait assez directement d’être un islamiste infiltré, il a néanmoins très vite montré son incapacité à répondre de manière constructive aux nombreuses thèses critiquables du polémiste. Au milieu des accusations de « fake news » de part et d’autre, Belattar ne s’est distingué que par des remarques d’écolier, rappelant à son contradicteur qu’il ne pouvait rien faire, il aurait toujours une « tête d’arabe », lui rappelant son « épicier ».
Son imprécision sur de nombreux sujets, à l’image des statistiques religieuses, qu’il a confondu avec les statistiques ethniques, interdites en France (encore que règne à ce sujet une hypocrisie crasse, les institutions comme les associations et mouvements politiques utilisant des statistiques se rapportant à l’origine ethnique lorsque cela les arrange…) n’a fait qu’aggraver son cas, face à un Zemmour jouissif, conscient de l’ascendant qu’il prenait petit à petit sur son interlocuteur, si bien qu’il poussa Belattar à changer constamment de sujet, passant, pour ne citer qu’un exemple, de l’identité à la critique du féminisme de la part de Zemmour sans que l’on ne comprenne quel lien voulait-il faire entre les deux, avant de rappeler une fois de plus que ce dernier ne devrait plus avoir le droit d’être invité sur les ondes et plateaux français depuis sa condamnation pour « incitation à la haine raciale », dressant au passage une hiérarchie plus qu’arbitraire des condamnations pour lesquelles l’on devrait avoir le droit de censurer ou non une personnalité publique (rappelant le propos ridicule de Christine Angot à François Fillon en 2017, arguant, selon quelle autorité, on se le demande toujours, que sa propre mise en examen était moins grave que celle du candidat à la présidentielle au titre que elle « disait la vérité » et que l’autre mentait).
Belattar mis KO au sujet de l’influence du discours de Zemmour
Mais cet échange, prenant parfois la tournure d’un combat de boxe, non sans rappeler à certains égards le Tapie vs Le Pen de 1988 (l’on aurait pu s’attendre à voir Pascal Praud jouer les Paul Amar de service et sortir des gants, même si l’on peut supposer que CNEWS ne souhaite sans doute guère faire de publicité à Décathlon suite à la polémique sur le hijab running), devait finir par mettre KO l’un des deux débatteurs. Et c’est au détour d’une passe d’armes au sujet du grand remplacement que Belattar s’est lui-même condamné, ayant tendu le bâton pour se faire battre : le grand remplacement, une théorie controversée développée par l’écrivain d’extrême-droite Renaud Camus et reprise à plusieurs occurrences par le Rassemblement National, aurait été le leitmotiv de l’auteur des attentats de Christchurch, ayant coûté la vie à une cinquantaine de musulmans la semaine dernière.

Eric Zemmour, partisan de cette théorie depuis de nombreuses années, s’est fait imputer par Yassine Belattar la responsabilité de ces cinquante victimes innocentes. Attaque pour le moins critiquable à plus d’un égard, et profondément malhonnête, comme le fera remarquer Zemmour en répliquant, par une question rhétorique, si Belattar considère que de la même manière, la responsabilité des attentats commis par les terroristes qui tuent aux cris d’Allahu akbar serait directement imputable à un Coran qu’ils interprètent mal.
Un débat pour rien
Le débat Belattar vs Zemmour s’inscrit en définitive dans la parfaite lignée de ces débats stériles où les interlocuteurs préfèrent se démarquer par leur virulence et leur volonté d’être celui qui va mettre l’autre en mauvaise posture, à des fins purement personnelles, plutôt que de faire passer un véritable message, argumenté.
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